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la seconde, et qui, plein de cette première vue, n’ose rien montrer et laisse tout voir. Je le rassurai de mon mieux, lui dis que j’avois répondu de lui à M. le duc d’Orléans, et après, qu’il s’agissoit d’un lit de justice pour la construction duquel et sa position nous avions besoin de lui. À peine m’en fus-je expliqué, que le pauvre homme se prit à respirer tout haut, comme qui sort d’une oppression étouffante, et qu’on lui eût ôté une pierre de taille de dessus l’estomac, et cela à quatre ou cinq reprises tout de suite, en me demandant autant de fois si ce n’étoit que cela qu’on lui vouloit. Il promit tout dans la joie d’en être quitte à si bon marché, et dans la vérité, il tint bien tout ce qu’il promit, et pour le secret et pour l’ouvrage, il n’avoit jamais vu de lit de justice et n’en avoit pas la moindre notion. Je me mis à son bureau et lui en dessinai la séance. Je lui en dictai les explications à côté parce que je ne voulus pas qu’elles fussent de ma main. Je raisonnai plus d’une heure avec lui ; je lui dérangeai ses meubles pour lui mieux inculquer l’ordre de la séance et ce qu’il avoit à faire faire en conséquence avec assez de justesse pour n’avoir qu’à être transporté et dressé tout prêt aux Tuileries en fort peu de moments. Quand je crus m’être suffisamment expliqué, et lui avoir bien tout compris, je m’en retournai au Palais-Royal comme par un souvenir, étant déjà dans les rues, pour tromper mes gens. Un garçon rouge m’attendoit au haut du degré, et d’Ibagnet, concierge du Palais-Royal, à l’entrée de l’appartement de M. le duc d’Orléans, avec ordre de me prier de lui écrire. C’étoit l’heure sacrée des roués et du souper, contre laquelle point d’affaire qui ne se brisât. Je lui écrivis donc dans son cabinet d’hiver ce que je venois de faire, non sans indignation qu’il n’eût pu différer ses plaisirs pour une chose de cette importance. Je fus réduit encore à prier d’Ibagnet de prendre garde à ne lui donner mon billet que quand il seroit en état de le lire et de le brûler après. Je m’en fus de là chez Fagon, que je ne trouvai pas, et après