Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/280

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saisissois dans cet intervalle de choses, au moment qu’elle me revient dans l’esprit. La dernière année de la vie du feu roi, le chapitre de Denain députa deux de ses chanoinesses pour venir représenter ici les dommages et la ruine que leurs biens et leur maison avoit souffert du combat qui s’étoit donné chez elles, et dont la victoire fut le commencement de la résurrection de la France. Je les avois souvent vues dans les tribunes à la messe du roi, et su qui elles étoient et pourquoi venues. Mme de Dangeau les protégea, mais le roi mourut sans qu’on eût songé à elles. La régence formée, elles s’adressèrent aux maréchaux de Villeroy et de Villars, et au duc de Noailles, parce que leur demande alloit aux finances à cause de la guerre. Elles frappèrent encore à d’autres portes inutilement plus d’un an, et souvent, à ce qu’elles m’ont dit depuis, très mal reçues et éconduites. Lassées d’un séjour si long, si infructueux et si coûteux pour l’état où elles étoient, et voulant apparemment ne laisser rien qu’elles n’eussent tenté, elles vinrent me parler. L’une s’appeloit Mme de Vignacourt, l’autre Mme d’Haudion. Je les reçus avec l’ouverture qu’on doit à des personnes pressées et malheureuses, et avec la politesse et les égards que leur naissance et leur état demandoit. Elles en furent assez surprises pour que je le pusse remarquer ; c’est qu’elles n’y avoient pas été accoutumées, à ce qu’elles me dirent depuis, par ceux à qui elles s’étoient auparavant adressées, et j’en fus d’autant plus étonné du duc de Noailles particulièrement, qu’encore que sa naissance n’ait pas besoin d’appuis, il montre le cas qu’il fait de la bricole un peu fâcheuse de l’alliance de Vignacourt par le portrait en pied qu’il a chez lui, en grand honneur et montre, d’un des deux grands maîtres de Malte du nom de Vignacourt, qui étoient oncles de Française de Vignacourt qui, faute de bien apparemment, épousa Antoine Boyer, dont elle eut Louise Boyer, mère du cardinal, du bailli, et du maréchal de Noailles, et de la marquise de Lavardin, femme d’une rare vertu et d’un