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guère moins de se vanter et de faire valoir jusqu’à ses moindres démarches, auroit voulu qu’on lui sût gré à Madrid jusque de son inaction et de son silence. Il trouvoit qu’il ne recevoit jamais d’ordres à temps, et véritablement ayant à répondre à un ministre difficile, qui souvent désiroit rejeter la faute de l’obscurité de ses lettres sur l’exécution de ceux qui les recevoient, Beretti, comme les autres ministres d’Espagne au dehors, étoit souvent embarrassé du parti qu’il devoit prendre autant pour plaire à sa cour que pour le bien des affaires qui lui étoient commises. Il se trouva dans cet embarras, lorsqu’à la fin d’avril l’ambassadeur de France et l’envoyé d’Angleterre allèrent ensemble communiquer aux États généraux le projet du traité de la quadruple alliance. Beretti n’avoit pas encore reçu des ordres suffisants, pour régler sa conduite ; il jugea qu’en cette conjoncture il ne pouvoit rien faire de mieux que de gagner du temps et d’empêcher la république de prendre aucun engagement. Il demanda donc une conférence avec les députés des États, leur tint à son ordinaire force verbiages, et parut content des assurances qu’il en reçut de rapporter à leurs maîtres ce qu’il leur avoit dit, et de leur désir de conserver les bonnes grâces de l’Espagne. Beretti les trouvoit folles et générales ; il crut agir prudemment d’avouer à Albéroni que son inquiétude étoit extrême depuis que l’ambassadeur de France marchoit avec l’envoyé d’Angleterre. Il fit remarquer que cette cour gagnoit la supériorité dans le parlement, depuis qu’on savoit que M. le duc d’Orléans concouroit avec elle. Qu’on avoit bien prévu que les Hollandois seroient invités d’entrer dans l’alliance ; mais que de plus on étoit persuadé que, s’ils y résistoient, ils seroient forcés d’y souscrire. On ajoutoit, disoit-il, que le régent feroit une ligue avec l’empereur ; que, quoique la chose ne lui parût pas vraisemblable, tout étoit possible, s’espaçoit contre la France et le traité, et concluoit qu’en attendant qu’il reçût des ordres pour régler sa conduite, il feroit tout son possible