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règne du feu roi, et à ce qui vient d’être courtement dit des premiers ministres, qui depuis sa mort ont gouverné la France et l’Espagne. Les cours de Turin, de Londres et de Vienne ont le bonheur de détester de tout temps cette sorte de gouvernement ; les premiers ministres y sont inconnus depuis des siècles, et la robe y est avec l’honneur qu’elle mérite dans les fonctions qui lui sont propres ; mais la nécessité de porter un rabat pour être capable de toutes les parties civiles, politiques, militaires du gouvernement, privativement à toute autre condition et profession, est une gangrène dont ces cours n’ont jamais été susceptibles, et dont notre fatal exemple les saura de plus en plus préserver.

Ces puissances n’emploient dans leurs conseils que, des gens de qualité, et le plus qu’il se peut distinguée, persuadées qu’elles sont que la noblesse des sentiments et l’attachement à la prospérité de l’État auquel ils tiennent par leur naissance, leurs terres, leurs alliances, leur état en tout genre, est un gage certain de leur conduite qui les éloigne de l’indifférence pour le général, et de l’ardeur pour la fortune prompte et particulière, des nuisibles efforts de rapide élévation dont l’honneur et la position des personnes de qualité les préserve. On s’y garde bien des choix au hasard, surtout de confier les plus importants ministères à qui n’en a aucune notion. Ces cours qui n’ont jamais été tachées de la pernicieuse persuasion que leur pouvoir et leur prospérité consiste à faire que tout soit peuple, et peuple ignorant et sans émulation, sont au contraire appliquées à essayer des sujets pour les divers ministères de toutes les parties du gouvernement, à les employer par degrés dans le civil et le politique, comme dans le militaire, à laisser promptement tomber les ineptes, à pousser les autres, suivant leurs talents, à ne laisser pas languir ceux qui montrent valoir dans la lenteur des degrés et des grades ; et par cette conduite elles ont toujours à choisir pour le grand en tout genre.