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chambre en année, arriva là-dessus. Nyert lui conta ce qui étoit arrivé du travail, de la lettre, des larmes, et de la fuite sur la chaise percée. Le duc de Mortemart y entra et le trouva dans la plus grande désolation. Il eut peine à tirer de lui ce qui l’affligeoit de la sorte. Dès qu’il le sut, il représenta au roi qu’il étoit bien bon de pleurer pour cela, puisqu’il étoit le maître d’ordonner à M. le Duc d’envoyer de la part de Sa Majesté chercher Fleury, qui sûrement ne demanderoit pas mieux, et dans l’extrême embarras où il vit le roi là-dessus, il s’offrit d’en aller porter sur-le-champ l’ordre à M. le Duc. Le roi délivré sur l’exécution l’accepta, et le duc de Mortemart alla tout aussitôt chez M. le Duc qui se trouva fort étourdi, et qui après une courte dispute obéit à l’ordre du roi. Comme la chose étoit arrivée avant le soir sur la fin de l’après-dînée elle fit grand bruit et force dupes, car on ne douta pas que Fleury ne fût perdu et chassé sans retour, qui n’eût été cardinal ni premier ministre de sa vie, si M. le Duc l’eût fait paqueter sur le chemin d’Issy et fait gagner pays toute la nuit. Le roi auroit bien pleuré, mais la chose seroit demeurée faite ; M. de Mortemart n’auroit pas porté l’ordre à temps. Après cet éclat il falloit que l’un chassât l’autre. L’un étoit prince du sang, premier ministre et sur les lieux, tandis que l’autre, sans nul appui couroit la poste, ou pour le moins les champs vers un exil. Qui que ce soit n’eût osé faire tête à M. le Duc, ni peut-être voulu quand on l’auroit pu, et l’un demeuroit perdu et l’autre pour toujours le maître. Voici pourquoi je raconte ici cette anecdote, qui outrepasse le temps que ces Mémoires doivent embrasser. Walpole, averti de tout à temps, le fut de cette aventure ; il ménageoit Fleury comme un homme qui pointoit, et que l’amitié de mie pouvoit conduire loin. Il alla sur-le-champ à Issy, et par cette démarche se dévoua personnellement le cardinal à un point qui est inexprimable, et dont je ne puis douter comme on va le voir.

Fleury étoit incapable non seulement d’accepter des présents