Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/252

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et partout à pleine bouche, un homme enfin qui n’eut jamais rien de sacré ; à qui a connu l’un et l’autre, cette fascination ne peut paroître qu’un prodige du premier ordre, augmenté encore par les avertissements de toutes parts.

La France n’avoit besoin que d’un gouvernement sage au dedans pour en réparer les vastes ruines, et au dehors pour conserver la paix ; son épuisement et la minorité, qui est toujours un état de faiblesse, le demandoient. Il n’étoit pas temps de songer à revenir sur les cessions que les traités de Londres et d’Utrecht avoient exigées, et nulle puissance n’avoit à former de prétentions contre elle. Outre la nécessité de profiter de la paix pour la réparation des finances et de la dépopulation du royaume, une perspective éloignée y engageoit d’autant plus qu’on devoit être instruit par la faute de la guerre terminée par la paix de Ryswick, uniquement due à l’ambition personnelle de Louvois, qui l’avoit allumée, comme il a été remarqué dans ces Mémoires. On auroit dû prévoir alors l’importance de se tenir en force, de profiter de l’ouverture de la succession d’Espagne, que la santé menaçante de Charles II faisoit regarder comme peu éloignée, et en attendant ne pas alarmer l’Europe par l’ambition de faire les armes à la main un électeur de Cologne et rétablir un roi d’Angleterre, et s’affaiblir par une longue guerre, dont deux ans de paix entre le traité de Ryswick et la mort de Charles II n’avoient pas eu le temps de remettre la France, ni de refroidir cette formidable alliance de toute l’Europe contre elle, qui se rejoignit comme d’elle-même après la mort de Charles II. L’empereur se trouvoit le dernier mâle de la maison d’Autriche avec peu ou point d’espérance de postérité ; son âge et sa santé pouvoient faire espérer une longue vie. Mais il n’en est pas des États comme des hommes ; quelque longue que pût être la vie de l’empereur il [était] toujours certain que la France le survivroit. Comme elle n’avoit point de prétentions à former à sa mort sur l’empire, ni sur pas un de ses États, elle n’avoit pas à