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Sicile. Une telle conversation ne promettoit pas à Lascaris une audience plus favorable, et l’effet répondit aux apparences. Il voulut représenter au cardinal les promesses qu’il avoit faites au roi de Sicile de lui communiquer ce qui se passeroit dans les négociations de la paix. Lascaris dit que son maître ne pouvoit douter qu’elle fût fort avancée, étant informé des longues conférences que Nancré et le colonel Stanhope avoient avec le cardinal. Il répondit avec chaleur qu’il n’étoit plus obligé à ses promesses, puisque le roi de Sicile avoit peut-être déjà signé son traité avec l’empereur, et que le roi d’Espagne en avoit des avis certains et positifs. Lascaris voulut en vain combattre et détruire une opinion si injurieuse à son maître ; il soutint que ce prince n’avoit fait aucune démarche contraire aux derniers traités ; qu’on ne devoit donc ajouter, aucune foi à des avis qui blessoient sa réputation. Ses répliques furent inutiles ; Albéroni rompit l’audience, et, se levant, dit qu’il étoit obligé de se rendre auprès du roi d’Espagne. Lascaris en tira la conséquence que la, paix étoit bien avancée et les intérêts de son maître sacrifiés.

Soit feinte, soit vérité, Albéroni déploroit avec ses amis la situation où il se trouvoit, la plus scabreuse, disoit-il, et la plus critique qu’il fût possible. Il se plaignoit que sa fortune ne servoit qu’à lui faire passer de mauvais jours et de fâcheuses nuits ; il vouloit qu’on le crût détrompé du monde, mais forcé d’y vivre pour se conformer et se soumettre aux ordres de la Providence. Il étoit bien éloigné ; comme les Piémontois l’en soupçonnoient, d’entrer dans le traité de paix. C’étoit sincèrement qu’il déclamoit contre, et quoique le détail des conditions secrètes n’eût pas encore été communiqué au roi d’Espagne, Albéroni prétendoit que Nancré s’étoit expliqué assez clairement pour ne laisser aucune curiosité, pas même celle d’ouvrir et de lire les lettres qu’il écrivoit en France. Il protestoit que le roi d’Espagne perdroit plutôt quarante couronnes que de faire un pareil traité.