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Il faut premièrement se rappeler ce qui s’est passé dans la guerre qui a suivi l’avènement de Philippe V à la couronne d’Espagne, les funestes revers qui ont ébranlé les trônes du grand-père et du petit-fils, les circonstances affreuses et déplorables où ils se sont trouvés de ne pouvoir ni soutenir la guerre davantage ni obtenir la paix ; l’un prêt à passer la Loire pour se retirer vers la Guyenne et le Languedoc, l’autre à s’embarquer avec sa famille pour les Indes ; l’énormité et la mauvaise foi des propositions faites à Torcy dans la Haye, et à nos plénipotentiaires à Gertruydemberg ; enfin les miracles de Londres, qui tirèrent ces deux monarques des abîmes par la paix d’Utrecht, et finalement par celles de Rastadt et de Bade. C’est ce qui se voit dans ces Mémoires pour les événements et pour les pourparlers de paix et les traités, par les copies des Pièces originales que Torcy, par qui tout a passé, m’a prêtées, et dont j’ai parlé plus d’une fois ; on les trouvera dans les Pièces. D’une situation si forcée et si cruelle, des conditions affreuses ardemment désirées pour en sortir du temps du voyage de Torcy à la Haye, et de la négociation de Gertruydemberg à l’état où la paix d’Utrecht et sa suite de Rastadt et de Bade ont laissé la France et l’Espagne, la disproportion est telle que de là mort à la vie. Tout conspiroit donc à persuader la jouissance d’un si grand bien, et si peu espérable ; d’en profiter pour la longue réparation des deux royaumes, que de si grands et si longs revers avoient mis aux abois, et se garantir cependant avec sagesse de tout ce qui pouvoit troubler cette heureuse tranquillité, et exposer l’épuisement où on étoit encore à de nouveaux hasards. La droite raison, le simple sens commun démontrent que ce but étoit ce qui devoit faire l’entière et la continuelle application du gouvernement de la France et de l’Espagne. Celle-ci à la vérité n’étoit pas comme la France en paix avec toute l’Europe.

L’empereur seul, séparé à son égard de toutes les autres