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armée de trente ou quarante mille hommes. Une telle parole étoit plus aisée à donner qu’à exécuter ; mais Albéroni n’étoit point avare de promesses qui ne lui coûtoient rien. Il falloit aussi [ajouter] que, s’il ne pouvoit y satisfaire, les mouvements qu’il comptoit de susciter en France le dédommageoient assez de ce qu’il perdoit en manquant de parole aux alliés de son maître. Il espéroit alors beaucoup des liaisons que Cellamare avoit formées. Il falloit les conduire avec prudence, ménager les intérêts, la considération, le crédit, le rang, la fortune de ceux qui entroient dans ces intrigues, leur laisser le loisir de les conduire sagement, et de profiter des conjonctures. Le temps étoit donc nécessaire, et pour les alliances à contracter et pour les trames secrètes dont Albéroni espéroit encore plus que des alliances et des secours des étrangers.

Le régent, méprisant les discours du public et les raisonnements sur l’intérêt particulier qui portoit Son Altesse Royale à rechercher avec tant d’empressement l’alliance du roi d’Angleterre, pressoit la négociation, et quoiqu’elle fût près de sa conclusion, le temps étoit nécessaire aussi pour lui donner sa perfection. Ainsi ce prince dissimuloit si bien l’état où elle étoit, que les ministres les plus intéressés à le savoir l’ignoroient. Celui d’Espagne faisoit des représentations et des déclarations très inutiles ; il ameutoit quelques ministres étrangers et faisoit valoir à Madrid, comme fruits de ses soins, quelques déclamations vaines des ministres du czar et du duc de Holstein contre la quadruple alliance. Il ne leur coûtoit rien de les faire ; elles ne faisoient aussi nulle impression. Le régent laissoit cependant à Cellamare le plaisir de croire que ses manèges et ses représentations réussissoient ; il l’assuroit, de temps en temps, que les bruits répandus sur la conclusion de l’alliance étoient faux, et suivant le penchant qui conduit à croire ce qui flatte et ce qu’on souhaite, Cellamare vouloit se persuader que ces assurances qu’il trouvoit fondées en raison étoient vraies, parce qu’elles lui paraissoient