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de ses ministres, que le roi d’Espagne lui proposoit de quitter la Turquie, et de venir prendre le commandement des troupes espagnoles que Sa Majesté Catholique vouloit lui confier. Pour autoriser la supposition, il avoit fait croire qu’un nommé Boischimène, envoyé véritablement auprès de lui par Albéroni, étoit venu exprès lui faire cette proposition. Il avoit affecté de persuader à la Porte qu’il entretenoit une correspondance avec la cour de Madrid, assez vive pour y dépêcher des courriers ; et pour y réussir, il avoit nouvellement profité, de la bonne volonté ou plutôt de l’empressement et de l’impatience qu’un officier françois eut de sortir pour jamais de Constantinople, où il s’étoit rendu avec un égal empressement, attiré et persuadé par l’espérance qu’il s’étoit formée de s’élever à une haute fortune par la protection de Ragotzi. Cet officier, nommé Montgaillard, lui offrit de porter en Espagne les lettres qu’il voudroit écrire au cardinal Albéroni. L’offre acceptée, l’officier partit bien résolu de ne rentrer jamais dans un tel labyrinthe, et, pour n’y plus retomber, il se mit au service du roi d’Espagne, et prit de l’emploi dans un régiment d’infanterie wallonne.

Le roi d’Espagne, dénué d’alliés, persista cependant dans la résolution qu’il avoit fortement prise d’essayer une campagne, déclarant que, quelque succès qu’eussent ses armes, il seroit également porté à recevoir des propositions de paix lorsqu’elles seroient honorables pour lui, et telles que le demandoit la sûreté de l’Europe, dont il vouloit maintenir le repos et la liberté. C’est ce qu’Albéroni répondit aux instances du colonel Stanhope, l’assurant en même temps que le plan proposé à Sa Majesté Catholique par la France et par l’Angleterre, pour, un traité, étoit si contraire à son idée, que jamais elle n’accepteroit un tel projet. Malgré tant de fermeté le colonel ne laissoit pas de remarquer que le cardinal sachant la flotte Anglaise à la voile parloit avec plus de modération et de retenue sur l’article des Anglois négociants en Espagne. « Leur sort, disoit-il, dépendra des ordres que