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pour le mettre en garde contre les artifices qu’il disoit que la France et l’Angleterre employoient pour semer les soupçons, et faire naître la mauvaise intelligence entre la cour de Madrid et celle de Turin. Il fit donc voir à Provane la réponse nette et décisive qu’Albéroni avoit rendue au colonel Stanhope au sujet du projet du traité. Cette preuve toutefois ne fut pas assez forte pour déraciner les défiances d’un ministre du duc de Savoie, et Provane, persuadé qu’il convenoit aussi au roi d’Espagne d’être parfaitement uni avec le roi de Sicile, douta néanmoins si Sa Majesté Catholique s’intéresseroit pour lui vivement et sincèrement. Stanhope ne manqua pas d’ajouter par ses discours de nouvelles inquiétudes à celles que Provane lui fit paroître. Il lui dit que ce prince devoit craindre les promesses trompeuses d’Albéroni ; que le roi d’Espagne auroit déjà souscrit au projet de paix si la cession eût été ajoutée en sa faveur aux conditions proposées à Sa Majesté Catholique. Stanhope ajouta qu’Albéroni en avoit fait la confidence au colonel Stanhope, son cousin, envoyé d’Angleterre à Madrid, offrant même d’accepter encore, nonobstant le débarquement que la flotte d’Espagne avoit peut-être fait alors en Italie ; qu’il avoit dit de plus que cette flotte se joindroit à l’escadre Anglaise pour faire ensemble la conquête de la Sicile. Provane étonné combattit le discours de Stanhope, en disant que Cellamare lui avoit communiqué les lettres d’Albéroni, directement contraires aux relations du colonel Stanhope. Le comte de Stanhope répondit qu’Albéroni tenoit deux langages ; qu’il tromperoit les Anglois si la flotte réussissoit ; que, si l’entreprise manquoit, le roi de Sicile seroit sacrifié ; que d’ailleurs un prince si prudent, si éclairé, devoit connoître qu’il ne pouvoit espérer aucun avantage solide en Italie de l’union qu’il formeroit avec l’Espagne, parce que l’année suivante l’empereur se vengeroit des liaisons prises à son préjudice ; que l’unique voie d’obtenir des avantages dont la durée seroit sûre étoit d’entrer dans l’alliance proposée.