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moindre avis et sans faire paroître aucune marque d’égards et de respects pour le roi d’Espagne.

Albéroni affecta de répandre que ce prince étoit aussi vivement que justement indigné de la conduite du nonce, et, pour en donner une démonstration publique, Sa Majesté Catholique commanda qu’il fût gardé à vue jusqu’à ce qu’elle eût consulté le conseil de Castille, son tribunal supprimé, sur les mesures qu’elle avoit à prendre pour repousser les entreprises téméraires du ministre de la cour de Rome. Le conseil de Castille consulté fut d’avis que le roi d’Espagne démit faire arrêter le nonce, fondé sur ce que ce ministre du pape, n’ayant pas l’autorité par lui-même d’ouvrir le tribunal de la nonciature et ne pouvant le faire sans la permission du roi d’Espagne, né pouvoit aussi le fermer sans la connoissance et la permission de Sa Majesté Catholique. On ne douta plus à la cour d’Espagne que la rupture, dont, cette cour faisoit retomber la haine sur le pape, ne fût depuis longtemps préméditée comme le seul moyen que Sa Sainteté et ses ministres eussent imaginé de persuader les Allemands qu’elle n’avoit aucune liaison secrète avec l’Espagne, et, par conséquent, nulle part aux entreprises de cette couronne en Italie. On disoit qu’il y avoit plus de trois mois que le nonce faisoit emballer ce qu’il avoit de plus précieux dans sa maison, et, qu’étant dans l’habitude de faire valoir son argent, il avoit pris depuis quelque temps ses mesures pour retirer des mains des négociants les sommes qu’il leur avoit données à intérêt ; on ajoutoit que le courrier, dépêché de Rome au nonce, avoit eu l’indiscrétion, en passant à Barcelone, de dire au prince Pio que le cardinal Albane l’avoit fait partir avec un extrême secret, qu’il lui avoit donné deux cents pistoles pour sa course, le chargeant de dire au nonce qu’ils se verroient bientôt, et de l’assurer qu’il seroit content, parce qu’il trouveroit de bons amis à Rome. Le même courrier avoit dit aux domestiques de ce prélat que les nouvelles de Rome étoient bonnes pour leur maître, et qu’il seroit bientôt élevé à la pourpre.