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trente mille bombes et grenades, le reste à proportion ; vingt mille quintaux de poudre, quatre-vingt mille outils à remuer la terre, dix-huit mille fusils de réserve, des vivres pour l’armée de terre et de mer jusqu’à la fin du mois d’octobre, toutes les troupes armées, montées et vêtues de neuf ; enfin deux millions de pièces de huit embarquées, c’est-à-dire, un million trois cent mille pièces en monnaie d’or et d’argent, le reste en lettres de change sur Gènes et sur Livourne. Outre ces troupes, il demeure quarante-deux mille hommes en Espagne. C’est en ces termes qu’Albéroni s’expliquoit à Monteléon au commencement de juin 1718, avouant cependant que les hommes ayant fait ce qu’ils pouvoient, le succès dépendoit de la bénédiction de Dieu ; mais ces dispositions suffisoient, disoit le cardinal, pour faire voir au roi d’Angleterre qu’il se trompoit s’il croyoit traiter un roi d’Espagne à l’allemande ; car enfin Sa Majesté Catholique se mettoit en état de faire de temps en temps de ces sortes de coups qui devroient donner à penser à quelqu’un, et si, plutôt que de porter ses forces en Italie, elle les eût fait passer en Écosse sous le commandement de ce galant homme pour lors relégué à Urbin et demandant secours à tout le monde, peut-être que le roi Georges eût fait ses réflexions avant que d’envoyer une escadre dans la Méditerranée ; mais il paraissoit que Dieu aveugloit ce seigneur, permettant qu’il travaille contre son propre bien, et comme conduit par un esprit d’erreur qui ne lui permettoit pas de se laisser persuader par les raisons les plus claires, les plus convaincantes et les plus conformes à ses véritables intérêts.

Albéroni ne traitoit pas le régent plus favorablement que le roi d’Angleterre : tous deux selon lui ne pensoient qu’à leurs intérêts particuliers, et tous deux prenoient, disoit-il, de fausses routes pour arriver à leur but. L’un, selon lui, sacrifioit à cet objet la nation Anglaise, et, l’autre la française. Enfin, sortant des bornes du simple raisonnement, il