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réciproques. Beretti jugeoit qu’elles étoient d’autant plus nécessaires, que, malgré l’espérance que les agents, du roi de Suède lui avoient donnée que l’union entre la France et l’Angleterre ne seroit ni, solide ni de durée, il voyoit au contraire les ministres françois et anglois agir entre eux d’un grand concert, et presser unanimement les États généraux de souscrire au projet du traité. On se flattoit même alors que le cardinal Albéroni deviendroit plus docile ; on disoit qu’il commençoit à mollir. Les Anglois faisoient usage de ces avis en Hollande, et s’en servoient comme de raisons décisives pour engager la république à convenir de ce qu’ils désiroient.

Toutefois Cellamare et Monti, mieux instruits des véritables sentiments d’Albéroni, assurèrent toujours Provane qui étoit encore à Paris, de la part du roi de Sicile, que certainement le roi d’Espagne rejetteroit le projet ; qu’il ne se contenteroit pas des compliments du roi d’Angleterre ni de ses discours équivoques pendant qu’il travailloit par des réalités à augmenter la puissance de l’empereur. Les discours de Cellamare et de Monti étoient confirmés par les lettres qu’ils montroient d’Albéroni. Cellamare pour lui plaire s’exhaloit contre le traité en plaintes et en réflexions à peu près les mêmes qu’on a déjà vues. Mais il avoit bon esprit, et les propos qu’il tenoit ne l’empêchoient pas de connoître parfaitement que le roi d’Espagne, en rejetant le traité, exposoit sa monarchie à de grands dangers. On voyoit clairement la liaison intime du roi d’Angleterre, prince de l’empire, avec l’empereur chef de l’empire. Il étoit apparent que les Anglois lèveroient incessamment le masque de médiateurs, et que, reprenant le personnage de protecteurs de la maison d’Autriche, ils insulteroient pour lui plaire les États d’Espagne en Europe et en Amérique. Cellamare le prévoyoit, mais, il auroit mal fait sa cour en Espagne, s’il eût annoncé quelque suite fâcheuse des résolutions où le premier ministre vouloit entraîner son maître. Ainsi Cellamare se contenta