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avoit eu tous les biens, belle, aimable, jeune, qui étoit fort bien avec la reine dont elle étoit dame du palais, et qui ne donnoit point de prise sur sa conduite. Personne ne doutoit de ce crime, et lorsque j’ai été en Espagne, j’en ai ouï parler à la reine comme d’une chose certaine, dont elle avoit horreur. Je crois pourtant qu’il ne le commit que depuis qu’il fut mis auprès du prince des Asturies, ou fort peu avant, et que lors la chose n’étoit pas si avérée. D’ailleurs Popoli avoit grand air et grande mine, la taille et le visage mâle et agréable des héros, beaucoup d’esprit, d’art, de manège ; suprêmement faux et dangereux, avec tant le langage, les grâces, les façons, les manières du maréchal de Villeroy, à un point qui surprenoit toujours. Quoique Italien, il n’aimoit point Albéroni ; il fraya toujours avec la cabale espagnole, dont il ne se cachoit pas.

L’alliance défensive traitée entre l’Espagne et l’Angleterre s’étoit refroidie par la signature de celle de cette dernière couronne avec l’empereur. L’Espagne crioit contre la mauvaise foi des Anglois, et ne doutoit pas que le traité qu’ils venoient de conclure ne fût contraire à ses intérêts, et aux plus essentiels articles de la paix d’Utrecht. Les Anglois se plaignoient avec hauteur des vexations que leurs marchands souffroient sans cesse de l’Espagne ; ce qui désoloit tout commerce. Ces plaintes mutuelles retomboient sur Albéroni, depuis longtemps chargé seul de cette négociation ; mais lui se crut assez habile pour profiter de cette situation, prit un air de franchise et de disgrâce avec le secrétaire que l’Angleterre tenoit pour tout ministre à Madrid. Il lui dit que les mauvais serviteurs du roi d’Espagne l’avoient tellement décrié dans son esprit foible, défiant, incertain, irrésolu, comme gagné par les Anglois, qu’il n’osoit plus ouvrir la bouche de rien qui les regardât, et gémissoit devant ce secrétaire sur le préjudice que ces pernicieux discours causoient aux intérêts du roi d’Espagne. Le but de cette feinte étoit de se rendre cher aux Anglois, en les persuadant qu’il