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en faveur de Fouquet. Le Tellier lui-même en convint dans une visite que lui fit Olivier d’Ormesson [1] :

« Je fus dire adieu à M. Le Tellier, qui me fit entrer dans son jardin, et lui ayant témoigné lui avoir obligation de là manière dont je savois qu’il avoit parlé, il me dit mille civilités ; que tout ceci ne seroit rien, et qu’il ne falloit pas que je témoignasse aucun ressentiment ; mais que j’allasse toujours le même chemin, sans faire ni plus ni moins, afin que l’on ne crût pas que je fisse rien par crainte, ni aussi que je me voulusse venger. Il me parla ensuite du procès, des fautes qu’on y avoit faites, entra dans le détail, dit qu’on avoit fait la corde trop grosse ; qu’on ne pouvoit plus la serrer ; qu’il ne falloit qu’une chanterelle [2] ; me parla fort que M. le cardinal (Mazarin) n’avoit jamais pris un quart d’écu par le moyen de M. Fouquet ; mais qu’il avoit des prêts [3], et, pour son remboursement, avoit pris des recettes, sur lesquelles on lui donnoit la remise comme aux traitants, et lui n’en donnoit que peu, et ainsi avoit gagné beaucoup. »

Louis XIV lui-même eut occasion de s’expliquer avec les rapporteurs sur le procès, dont il blâmoit la lenteur. Il le fit avec une dignité qu’Olivier d’Ormesson s’empresse de reconnoître [4] :

« A trois heures, je fus avec M. de Sainte-Hélène [5] Il au château [6]. Nous trouvâmes le roi dans son cabinet avec MM. Colbert et Lyonne [7], et s’étant avancé près de la fenêtre, il nous dit ces mêmes paroles, autant que j’ai pu m’en souvenir :

« Lorsque j’ai trouvé bon que Fouquet eût un conseil libre, j’ai cru que son procès dureroit peu de temps ; mais il y a plus de deux ans qu’il est commencé, et je souhaite extrêmement qu’il finisse. Il y va de ma réputation. Ce n’est pas que ce soit une affaire de grande conséquence ; au contraire je la considère comme une affaire de rien ; mais dans les pays étrangers, où j’ai intérêt que ma puissance soit bien établie, l’on croiroit qu’elle ne seroit pas grande si je ne pouvois venir à bout de faire terminer une affaire de cette qualité contre, un misérable. Je ne veux néanmoins que la justice, mais je souhaite voir la fin de cette affaire de quelque manière que ce soit. Quand la

  1. Journal d’Olivier d’Ormesson, à la date du 2 mai 1664.
  2. Corde de luth ou de violon, fort mince.
  3. On voit par ce passage que Mazarin faisait des avances à l’État et se remboursait sur les deniers publics. Le Tellier avoue que Mazarin prêtait à l’État à gros intérêts, et ainsi gagnait beaucoup. C’est à peu près ce que dit Saint-Simon (p. 112 du t. XIV).
  4. Journal d’Olivier d’Ormesson, à la date du 8 juillet 1664.
  5. C’était le second rapporteur du procès de Fouquet.
  6. Château de Fontainebleau, où la cour résidait alors. La chambre de justice y avait été transférée. Fouquet était enfermé à Moret.
  7. Hugues de Lyonne, secrétaire d’État chargé des affaires étrangères.