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en laine pour des manufactures très utiles qu’il méditoit, mais sur le succès desquelles il craignoit avec raison la paresse naturelle des Espagnols.

Beretti se fondoit en grands raisonnements pour persuader Albéroni de profiter du désir qu’il voyoit dans la république de s’unir à l’Espagne, d’entrer dans les mesures nécessaires à borner l’ambition de la maison d’Autriche, et de se garantir de l’impression que faisoit sur lui l’humeur vindicative des transfuges espagnols de son conseil. Il disoit que nul traité ne seroit solide si on n’établissoit préliminairement un équilibre parfoit dans les affaires de l’Europe, sans lequel le roi d’Espagne ne devoit jamais s’engager, mais demeurer spectateur, et il traitoit de vaines les renonciations faites en faveur de la maison d’Autriche, parce qu’elle-même n’en avoit fait aucune en faveur de l’Espagne. Il convenoit qu’un refus absolu d’écouter rien sur la paix avec l’empereur pouvoit alarmer l’Angleterre et la Hollande, mais qu’il falloit savoir prolonger la négociation, et faire retomber sur la cour de Vienne l’odieux des délais.

Le fruit qu’il se proposoit de cette conduite étoit que l’Angleterre et la Hollande, irritées de celle de l’empereur sur la paix, l’en craindroient encore davantage et solliciteroient elles-mêmes l’alliance que le roi d’Espagne leur offroit. Il étoit vrai que l’Angleterre n’étoit pas tranquille dans l’intérieur : les partis y étoient plus animés que jamais, le roi et le prince de Galles brouillés jusqu’à ne plus garder aucunes apparences, les ministres anglois haïs d’une partie de la nation, les ministres allemands détestés de la nation, entière, et regardés comme vendus à la cour de Vienne. Ils passoient pour tels au point que le ministre du roi de Sicile n’osa les solliciter de travailler à l’accommodement de son maître avec l’empereur.