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pouvoit être vrai. Mais comment obliger l’empereur, puissant comme il étoit et les forces en main, de renoncer à l’Italie, qui faisoit un des plus beaux et des plus riches fleurons de sa couronne, et un des principaux fondements de son autorité en Europe, et comment, persuader les Anglois, de tous temps liés avec lui et le roi d’Angleterre, lors son ami personnel et intime, et qui avoit tant d’intérêt de le ménager pour ses États d’Allemagne, de lui faire une proposition si folle et encore sans équivalent, et de le forcer à cet abandon qui, par leur situation, ne leur étoit à eux d’aucune considération ?

Albéroni comptoit dire merveilles en protestant que le roi d’Espagne, content de ce qu’il possédoit, ne prétendoit rien en Italie pour lui-même, et se contentoit de ce qui devoit appartenir au fils de son second lit, par toutes les lois divines et humaines. Ce leurre en sus étoit aussi par trop grossier. C’étoit néanmoins en ce sens que Beretti reçut ordre d’écrire et de parler si la négociation se portoit à Londres.

Albéroni ne jugeoit pas convenable de céder tant de droits et d’États usurpés pour une promesse vague garantie par l’Angleterre et la Hollande, qui pour leur intérêt propre, à ce qu’il se figuroit, seroient obligées d’empêcher l’empereur de se rendre maître des États du grand-duc, si la succession s’en ouvroit sans héritiers ; par conséquent que l’Espagne ne gagneroit rien, et perdroit tout, en faisant ce traité avec l’empereur. Il en parla en ce sens au secrétaire d’Angleterre, toutefois dans l’intention d’entretenir le traité sans le rompre.

Le naturel froid et temporiseur d’Heinsius servoit Albéroni contre les empressements que Beretti redoubloit sans cesse pour le traité, avant que d’avoir reçu ses derniers ordres. Ce Pensionnaire l’assuroit de la bonne disposition de toutes les provinces ; mais il ajoutoit qu’avant de traiter et de conclure, il falloit voir ce que produiroient les soins