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de son misérable frère non moins déshonoré que lui, mais par d’autres endroits, que M. du Maine avoit par le feu roi fait ambassadeur de Malte ainsi joints dans cette affaire avec le grand prieur, ils soulevèrent tout ce qui étoit à Paris de l’ordre de Malte qui se joignit à cette noblesse, et ils convoquèrent tout ce qui en portoit la croix pour accompagner la présentation du mémoire. Le régent qui en fut averti, sentit l’inconvénient de cet attroupement, et manda l’ambassadeur de Malte la veille de la présentation du mémoire, auquel il dit qu’il défendoit toutes assemblées des chevaliers de Malte, à moins que ce ne fût uniquement pour les affaires de leur ordre.

Le samedi 18 avril, MM. de Châtillon, chevalier de l’ordre, de Rieux, de Laval, de Pons, de Baufremont et de Clermont vinrent au Palais-Royal, et entrèrent ensemble pour présenter leur mémoire au régent qui ne voulut pas [le] recevoir, leur dit deux mots de mécontentement fort secs, leur tourna le dos, et entra dans une pièce de derrière. M. de Châtillon avoit fait sa fortune par sa figure chez Monsieur, dont peu à peu il devint premier gentilhomme de la chambre ; il le fut après de M. son fils, qu’il suivit en Italie. À la figure près, qui étoit singulièrement belle, et à la valeur ; il n’y avoit rien, et quoique cette figure l’eût mis longtemps dans un certain grand monde, il n’y avoit été souffert que par ses qualités corporelles, et il y avoit longtemps qu’il menoit une vie fort obscure. M. de Rieux avoit beaucoup d’esprit, fort avare, fort méchant, fort glorieux, fort pensant en dessous, fort obscur, qui n’avoit jamais vu ni guerre, ni cour, ni monde. Les intendants, les impôts, le pouvoir absolu lui déplaisoit infiniment par gloire et par avarice, et il auroit voulu donner le ton au gouvernement, ou se faire donner et compter avec lui sans se donner la peine de paroître. Il n’étoit pas assez simple pour compter gagner rien sur les ducs ; il ne regardoit cette entreprise que comme le chausse-pied d’autres plus solides et plus