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la vigueur qu’il y avoit fait succéder à toute sorte de faiblesse ; il ne songeoit qu’à bien rétablir la marine et le commerce. Surtout il déploroit la conduite des précédents ministres, qui avoient offusqué les grands talents de Philippe V pour le gouvernement, dont il louoit la vie uniforme toute l’année, que lui-même avoit établie pour le tenir avec la reine sous sa clef, et que personne n’en pût approcher que par sa volonté, et dont il ne pût prendre aucun ombrage. Cette suite de journées qui a toujours duré depuis, par s’être tournée en habitude, mérite la curiosité, et d’être rapportée d’après Albéroni même.

Le roi et la reine qui, en maladie, en couches, en santé, n’avoient jamais qu’un même lit, s’éveilloient à huit heures, et aussitôt déjeunoient ensemble. Le roi s’habilloit et revenoit après chez la reine qui étoit encore au lit (je marquerai lors de mon ambassade les légers changements que j’y trouvai), et il passai un quart d’heure auprès d’elle. Il entroit après dans son cabinet, y tenoit son conseil, et quand il finissoit avant onze heures et demie, il retournoit chez la reine. Alors elle se levoit, et pendant qu’elle s’habilloit le roi donnoit divers ordres. La reine étant prête, elle alloit avec le roi à la messe, au sortir de laquelle ils dînoient tous deux ensemble. Ils passoient une heure de l’après-dînée en conversation particulière, ensuite ils faisoient ensemble l’oraison, après laquelle ils alloient ensemble à la chasse. Au retour le roi faisoit appeler quelqu’un de ses ministres, et pendant son travail en présence de la reine, elle travailloit en tapisserie ou elle écrivoit. Cela duroit jusqu’à neuf heures et demie du soir qu’ils soupoient ensemble. À dix heures Albéroni entroit et restoit jusqu’à leur coucher, vers onze heures et demie. Les premiers jours d’une couche, leurs lits séparés étoient dans la même chambre. À ce détail il faut ajouter que peu à peu les charges n’eurent plus aucune fonction, et personne n’approcha plus de Leurs Majestés Catholiques ; ce qui a duré toujours depuis. J’en expliquerai