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ralenti par les délais de sa promotion, que la reine irritée regardoit, disoit-il, comme un mépris pour elle, et qu’elle sentoit moins son affection pour un sujet qui lui étoit dévoué, que par l’empressement, né des conjonctures, d’aimer celui en qui elle avoit mis toute sa confiance, d’une supériorité de représentation qui le mît en état de la servir sans ménagement dans les occasions scabreuses dont elle se voyoit menacée. Cela désignoit les vapeurs noires du roi d’Espagne, retombé depuis peu dans une maigreur et une mélancolie qui faisoient craindre la phtisie, et que sa vie ne fût pas longue.

Burlet, son premier médecin, fut chassé d’Espagne un mois après ces derniers accidents, pour s’en être trop librement expliqué. Les suites en étoient fort à craindre pour la reine si haïe des Espagnols, et pour les étrangers qui ne tenoient rien que d’elle ; mais le péril étoit extrême pour Albéroni, parce que, maître de tout sous elle, il étoit en butte à la jalousie et à la haine universelle, et que, n’ayant point d’établissement, sa chute ne pouvoit être médiocre. Il avoit persuadé la reine qu’il y alloit de tout son honneur à elle, et que ce lui seroit la dernière injure, qu’après toutes les promesses du pape, une ombre de protection de l’empereur élevât Borromée à la pourpre, en négligeant son plus intime serviteur, pour lequel elle avoit encore, en dernier lieu, écrit de sa main, en termes si forts, qu’elle n’en pouvoit employer de plus pressants pour demander à Dieu le paradis. En même temps, connoissant bien le pouvoir de la crainte sur le pape, il fit donner ordre à Daubenton, par le roi d’Espagne, d’écrire à Aldovrandi que si la reine n’étoit pas promptement satisfaite, ni lui ni Alexandre Albani n’obtiendroient point la permission de venir à Madrid.

Albéroni comptoit se cacher ainsi, et faire valoir son entière soumission aux volontés du pape sans aucune impatience, et qu’il regardoit comme le dernier des malheurs d’être la cause éloignée de la moindre brouillerie entre les