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moyen de faire passer à Rome ses sentiments particuliers, et par là ne craignoit point qu’il lui fût rien imputé de ce que Rome trouvoit contre ses maximes dans ce que le roi d’Espagne le chargeoit d’y écrire. Ainsi le pape insistant sur l’entière exemption de toute imposition de tous les biens patrimoniaux des ecclésiastiques d’Espagne, Aubenton lui fit savoir nettement que cet article ne s’obtiendroit jamais, non pas même avec aucun équivalent, parce que l’intention du roi d’Espagne n’étoit pas d’augmenter par là ses revenus, mais de soulager ses sujets à supporter les taxes qui grossissoient, et qui retomboient sur eux, à mesure que les ecclésiastiques, exempts d’en payer aucune ; acquéroient des biens laïques. Aubenton revenoit après à dissuader le pape de mettre aucune de ces choses convenues à Madrid avec Aldovrandi en congrégation, et à le menacer de les voir renvoyer à une junte en Espagne, dont il verroit le terrible effet. Il ajoutoit que le retour d’Aldovrandi en Espagne étoit nécessaire, mais avec la grâce si instamment demandée, le chapeau d’Albéroni, si le pape vouloit obtenir toute sorte de satisfaction qui ne lui seroit donnée qu’à ce prix ; que la reine, irritée de tant de délais, étoit capable de se porter à toutes sortes d’extrémités ; que le ressentiment de se croire amusée et méprisée alloit en elle jusqu’à la fureur, sans qu’Albéroni, qui la voudroit calmer au prix de son sang, osât plus lui ouvrir la bouche, surtout depuis qu’ayant osé lui faire un jour quelque représentation, elle l’avoit fait taire et lui avoit dit qu’elle voyoit bien que six mois et un an de retardement ne lui faisoit rien, mais qu’un moment de retardement faisoit beaucoup à sa dignité et blessoit son honneur. C’étoit par de tels artifices qu’Albéroni comptoit persuader le pape de sa tranquillité sur le moment de sa promotion ; qu’il ne la désiroit prompte que pour l’intérêt du pape, et que tout sujet qu’il enverroit à Madrid seroit sûr d’y réussir, s’il y trouvoit contente du pape la reine qui pouvoit tout.