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deux ou trois mois de plus ou de moins ne lui étoient rien ; qu’il désireroit faire de plus grands sacrifices ; mais qu’il n’osoit parler, parce que le roi et la reine lui reprocheroient qu’il ne songeoit qu’à ses intérêts particuliers, et comptoit peu leur honneur offensé. Il ajoutoit que, quelque puissante que fût la raison de l’honneur et de la réputation de têtes couronnées, l’impatience de la reine étoit fondée sur des raisons particulières et secrètes, qui n’étoient pas moins pressantes que celles du point d’honneur. Il les expliquoit à ses amis à Rome il leur disoit que la reine envisageant le présent et l’avenir, que d’un côté elle voyoit la nécessité de donner un nouvel ordre au gouvernement de la monarchie, et de supprimer ces conseils qui ne se croyoient pas inférieurs à l’ancien aréopage, et en droit de donner des lois à leurs souverains ; d’un antre côté, elle considéroit la santé menaçante du roi d’Espagne par sa maigreur, ses vapeurs, sa mélancolie ; par conséquent le besoin qu’elle avoit d’un ministre fidèle à qui elle pût tout confier, lequel pour pouvoir lui donner ses conseils sans crainte, avoit besoin nécessairement d’un bouclier tel que la pourpre romaine, pour le mettre à couvert de ceux qu’il ne pourroit éviter d’offenser. Mais lorsqu’il écrivoit de la sorte, il avoit réduit tous les conseils à néant, dont il avoit pris, lui tout seul, les fonctions, les places, le pouvoir. Il n’avoit pas craint de le mander à tous les ministres que l’Espagne tenoit an dehors avec défense de rendre aucun compte à qui que ce soit qu’à lui seul des affaires dont ils étoient chargés, et de ne recevoir ordre de personne que de lui, ainsi qu’il se pratiquoit dans tout l’intérieur de la monarchie.

Il voyoit aussi les choses de trop près pour pouvoir se flatter que la reine venant à perdre le roi, ce qui n’avoit alors qu’une apparence fort éloignée, les Espagnols qui abhorroient sa personne et le gouvernement étranger, qui n’aimoient guère mieux une reine italienne qui n’étoit pas la mère de l’héritier présomptif et nécessaire ; qui n’avoit eu