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un homme qui disposoit seul et absolument du roi et de la reine d’Espagne. Acquaviva et Aldovrandi agissoient avec la même vivacité.

Vers la fin de novembre, ce cardinal reçut une lettre de la main de la reine d’Espagne, pleine d’ardeur pour cette promotion. Il la fit voir au pape, et le pressa si vivement, que Sa Sainteté n’eut de ressource pour s’en débarrasser que de lui demander un peu de temps. Cela leur fit juger qu’il ne résisteroit pas longtemps. Tout de suite ils proposèrent à Albéroni, pour hâter et faciliter tout, et pour plaire aussi à Alexandre Albani, second neveu du pape, qui mouroit d’envie d’être envoyé en Espagne, par jalousie de son frère aîné, qui avoit eu pareille commission pour Vienne, de le demander pour aller terminer tous les différends des deux cours. Ils désiroient donc que le roi d’Espagne écrivît à Acquaviva pour le demander au pape ; que cette lettre fût apportée par un courrier exprès, accompagnée de celle d’Albéroni et d’Aubenton, pour D. Alexandre, et ils représentoient qu’il étoit celui des deux neveux que le pape aimoit le mieux, qu’ils acquerroient à l’Espagne par ce moyen, comme Vienne s’étoit attaché son frère aîné. Aldovrandi, qui ne s’oublioit pas, désira que ses deux amis lui fissent quelque mérite auprès d’Alexandre, et souhaitoit pour son avancement faire avec lui le voyage d’Espagne. Ils jugeoient ces mesures nécessaires pour se mettre en garde contre beaucoup d’ennemis puissants qu’Aldovrandi avoit à Rome, dont Giudice se montroit le plus passionné. Acquaviva, qui le craignoit, assuroit qu’il traitoit secrètement avec la princesse des Ursins, ce qui ne pouvoit avoir d’objet que pour perdre la reine, et y employer peut-être le nom du prince des Asturies, sur la tendresse duquel Giudice comptoit beaucoup. Il ajoutoit qu’il falloit bien prendre garde à ceux qui approchoient de ce jeune prince, surtout des inférieurs, et se défier des artifices de Giudice, qui faisoit toutes sortes de bassesses pour se raccommoder avec le cardinal de La Trémoille,