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et de porter au comble un mélange inouï dans tous les siècles, après avoir été le premier de tous les hommes, de toutes les nations, qui ait tiré du néant les fruits du double adultère, et qui leur ait donné l’être, dont le monde entier, et policé et barbare, frémit d’abord, et qu’il a su accoutumer.

Tandis que le chemin de la fortune fut toujours l’attachement et la protection des bâtards, celle des princes du sang, à commencer par Monsieur, y fut toujours un obstacle invincible. Tels lurent les fruits d’un orgueil sans bornes qui fit toujours regarder au roi avec des yeux si différents ses bâtards et les princes de son sang, les enfants issus du trône par des générations légitimes, et qui les rappeloient à leur tour, et les enfants sortis de ses amours. Il considéra les premiers comme les enfants de l’État et de la couronne, grands par là et par eux-mêmes sans lui, tandis qu’il chérit les autres comme les enfants de sa personne qui ne pouvoient devenir, faute d’être par eux-mêmes, par toutes les lois, que les ouvrages de sa puissance et de ses mains. L’orgueil et la tendresse se réunirent en leur faveur, le plaisir superbe de la création l’augmenta sans cesse, et fut sans cesse aiguillonné d’un regard de jalousie sur la naturelle indépendance de la grandeur des autres sans son concours.

Piqué de n’oser égaler la nature, il approcha du moins ses bâtards des princes du sang par tout ce qu’il leur donna d’abord d’établissements et de rangs. Il tâcha ensuite de les confondre ensemble par des mariages inouïs, monstrueux, multipliés, pour n’en faire qu’une seule et même famille. Le fils unique de son unique frère y fut enfin immolé aussi avec la plus ouverte violence. Après, devenu plus hardi à force de crans redoublés, il mit une égalité parfaite entre ses bâtards et les princes du sang. Enfin, près de mourir, il s’abandonna à leur en donner le nom et le droit de succéder à la couronne, comme s’il eût pu en disposer, et faire les hommes ce qu’ils ne sont pas de naissance.