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sentir ses doutes et ses répugnances, [il] leur immola tout son état, sa famille, son unique rejeton, sa gloire, son honneur, sa raison, le mouvement intime de sa conscience, enfin sa personne, sa volonté, sa liberté, et tout cela dans leur totalité entière, sacrifice digne par son universalité d’être offert à Dieu seul, si par soi-même il n’eût pas été abominable. Il le leur fit en leur en faisant sentir tout le vide, en même temps tout le poids, et tout ce qu’il lui coûtoit, pour en recueillir au moins quelque gré, et soulager sa servitude, sans en avoir pu rendre son joug plus léger à porter, tant ils sentirent leurs forces, le besoin pressant et continuel de s’en servir, d’étreindre les chaînes dont ils avoient su le garrotter, dans la continuelle crainte qu’il ne leur échappât pour peu qu’ils lui laissassent de liberté.

Ce monarque si altier gémissoit dans ses fers, lui qui y avoit tenu toute l’Europe, qui avoit si fort appesanti les siens sur ses sujets de tous états, sur sa famille de tout âge, qui avoit proscrit toute liberté jusqu’à la ravir aux consciences et les plus saintes et les plus orthodoxes.

Ce gémissement plus fort que lui-même sortit violemment au dehors. Il ne put être méconnu par ce qu’il dit et à la reine d’Angleterre et aux gens du parlement : qu’il avoit acheté son repos ; et qu’en leur remettant son testament, lui si maître de soi et de ne dire que ce qu’il vouloit et comme il le vouloit dire et témoigner, il ne put s’empêcher de leur dire comme on a vu en son lieu : qu’il lui avoit été extorqué, et qu’on lui avoit fait faire ce qu’il ne vouloit pas, et ce qu’il croyoit ne pas devoir faire. Étrange violence, étrange misère, étrange aveu arraché par la force du sentiment et de la douleur ! Sentir en plein cet état et y succomber en plein, quel spectacle ! Quel contraste de force et de grandeur supérieure à tous les désastres, et de petitesse et de faiblesse sous un domestique honteux, ténébreux, tyrannique ! et quelle vérification puissante de ce que le Saint-Esprit a déclaré, dans les livres sapientiaux de l’Ancien Testament, du sort de ceux