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pu y être en soi, il se pouvoit dire que, dans cette cour même, elle ne s’en seroit jamais écartée.

Mme de Thianges dominoit ses deux sœurs, et le roi même qu’elle amusoit plus qu’elles. Tant qu’elle vécut, elle le domina, et conserva, même après l’expulsion de Mme de Montespan hors de la cour, les plus grandes privances et des distinctions uniques.

Pour Mme de Montespan, elle étoit méchante, capricieuse, avoit beaucoup d’humeur, et une hauteur en tout dans les nues dont personne n’étoit exempt, le roi aussi peu que tout autre. Les courtisans évitoient de passer sous ses fenêtres, surtout quand le roi y étoit avec elle. Ils disoient que c’étoit passer par les armes, et ce mot passa en proverbe à la cour. Il est vrai qu’elle n’épargnoit personne, très souvent sans autre dessein que de divertir le roi ; et comme elle avoit infiniment d’esprit, de tour et de plaisanterie fine, rien n’étoit plus dangereux que les ridicules qu’elle donnoit mieux que personne. Avec cela elle aimoit sa maison et ses parents, et ne laissoit pas de bien servir les gens pour qui elle avoit pris de l’amitié. La reine supportoit avec peine sa hauteur avec elle, bien différente des ménagements continuels et des respects de la duchesse de La Vallière qu’elle aima toujours, au lieu que de celle-ci il lui échappoit souvent de dire : « Cette pute me fera mourir. » On a vu en son temps la retraite, l’austère pénitence et la pieuse fin de Mme de Montespan.

Pendant son règne elle ne laissa pas d’avoir des jalousies. Mlle de Fontange plut assez au roi pour devenir maîtresse en titre. Quelque étrange que fût ce doublet, il n’étoit pas nouveau. On l’avoit vu de Mme de La Vallière et de Mme de Montespan, à qui celle-ci ne fit que rendre ce qu’elle avoit prêté à l’autre. Mais Mme de Fontange ne fut pas si heureuse ni pour le vice, ni pour la fortune, ni pour la pénitence. Sa beauté la soutint un temps, mais son esprit n’y répondit en rien. Il en falloit au roi pour l’amuser et le tenir.