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de Chantilly, de Compiègne, et les vrais voyages, que cela étoit ainsi. Pour aller tirer, se promener, ou pour aller coucher à Marly ou à Meudon, il alloit seul dans une calèche. Il se délioit des conversations que ses grands officiers auroient pu tenir devant lui dans son carrosse ; et on prétendoit que le vieux Charost, qui prenoit volontiers ces temps-là pour dire bien des choses, lui avoit fait prendre ce parti, il y avoit plus de quarante ans. Il convenoit aussi aux ministres qui, sans cela, auroient eu de quoi être inquiets tous les jours, et à la clôture exacte qu’en leur faveur lui-même s’étoit prescrite, et à laquelle il fut si exactement fidèle. Pour les femmes, ou maîtresses d’abord, ou filles ensuite, et le peu de dames qui pouvoient y trouver place, outre que cela ne se pouvoit empêcher, les occasions en étoient restreintes à une grande rareté, et le babil fort peu à craindre.

Dans ce carrosse, lors des voyages, il y avoit toujours beaucoup de toutes sortes de choses à manger : viandes, pâtisseries, fruits. On n’avoit pas sitôt fait un quart de lieue que le roi demandoit si on ne vouloit pas manger. Lui jamais ne goûtoit à rien entre ses repas, non pas même à aucun fruit, mais il s’amusoit à voir manger, et manger à crever. Il falloit avoir faim, être gaies, et manger avec appétit et de bonne grâce, autrement il ne le trouvoit pas bon, et le montroit même aigrement. On faisoit la mignonne, on vouloit faire la délicate, être du bel air, et cela n’empêchoit pas que les mêmes dames ou princesses qui soupoient avec d’autres à sa table le même jour, ne fussent obligées, sous les mêmes peines, d’y faire aussi bonne contenance que si elles n’avoient mangé de la journée. Avec cela, d’aucuns besoins il n’en falloit point parler, outre que pour des femmes ils auroient été très embarrassants avec les détachements de la maison du roi, et les gardes du corps devant et derrière le carrosse, et les officiers et les écuyers aux portières, qui faisoient une poussière qui dévoroit tout ce qui étoit dans le