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Ce n’est pas ici le lieu d’examiner, d’après ces papiers, quel a été le véritable caractère du maréchal de Noailles. Je me bornerai à extraire des Mémoires inédits du marquis d’Argenson une série de notes qui montrent à la fois la puissance du maréchal de Noailles et la jalousie qu’il excitoit à l’époque même où Saint-Simon écrivoit ses Mémoires. Ce qu’il y a de plus curieux dans ces extraits est la lettre remise par Louis XIV mourant à Mme de Maintenon, et par elle au maréchal de Noailles qui ne devoit la donner qu’au nouveau roi. On en trouvera l’analyse dans l’article qui porte la date du 9 avril 1743.

« 14 novembre 1740. — Les Noailles sont actuellement dans l’intrigue la plus violente. Comme M. de Charost se meurt, il s’agit de sa place de chef du conseil royal et d’une place de ministre au conseil d’État. À cette occasion, le maréchal de Noailles remue ciel et terre pour cela. Il a enfourné l’affaire des bâtards pour faire régler le rang de M. de Penthièvre avant de le marier, et cela lui retombera sur le corps. Son fils le duc d’Ayen [1] fait l’amoureux de Mme de Vintimille [2], sœur de Mme de Mailly [3]. Par ses conseils, elle cherche à supplanter sa sœur, et toutes les confidences du roi vont à elle ; on ne sait ce qui en sera. »

« 18 décembre 1740. — Le parti du cardinal Tencin travaille à force et avec grande apparence de succès. Mme de Vintimille étant au grand bien avec le duc d’Ayen, elle est pour qu’on prenne ce premier ministre ; et Mme de Mailly, étant fort gouvernée par sa sœur, commence, dit-on, à entrer dans ce maudit projet. La grosse faction des Noailles et des légitimés y coopère de toutes ses forces. »

« 16 septembre 1741. — On se pique de prôner les Noailles, et de leur donner un grand crédit apparent depuis la mort de Mme de Vintimille [4]. On manda d’abord le maréchal de Noailles à Saint-Léger, pour travailler aux intérêts de Mme de Mailly, en vue de la mort du petit du Luc, et il travailla deux heures avec le roi. Ses fils et Mlle de Noailles ne quittent pas le roi. Le crédit de Mme la comtesse de Toulouse paroît accru. »

« 19 mars 1743. — Voilà le maréchal de Noailles général de toutes nos forces de France depuis le Rhin jusques à la mer, et maître d’y mouvoir nos forces arbitrairement pour la dépense de la frontière. Voilà M. de Belle-Isle tout à fait disgracie, etc. La sagesse ne consiste pas seulement dans l’abstention des folies, ni même dans celle des

  1. Louis de Noailles, fils aîné d’Adrien-Maurice.
  2. Pauline-Félicité de Nesle, née en 1712, morte en 1741.
  3. Louise-Julie de Nesle, née le 1er mars 1712, morte le 30 mars 1751.
  4. Mme de Vintimille était morte au commencement de septembre 1741.