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étoit, ce n’étoit pas de celles-là qu’il lui falloit donner. « Vous ne connoissez pas le terrain, lui répliqua Le Tellier. De vingt affaires que nous portons ainsi au roi, nous sommes sûrs qu’il en passera dix-neuf à notre gré ; nous le sommes également que la vingtième sera décidée au contraire. Laquelle des vingt sera décidée contre notre avis et notre désir, c’est ce que nous ignorons toujours, et très souvent c’est celle où nous nous intéressons le plus. Le roi se réserve cette bisque pour nous faire sentir qu’il est le maître et qu’il gouverne ; et si par hasard il se présente quelque chose sur quoi il s’opiniâtre ; et qui soit assez importante pour que nous nous opiniâtrions aussi, ou pour la chose même, ou pour l’envie que nous avons qu’elle réussisse comme nous le désirons, c’est très souvent alors, dans le rare que cela arrive, une sortie sûre ; mais, à la vérité, la sortie essuyée et l’affaire manquée, le roi, content d’avoir montré que nous ne pouvons rien et peiné de nous avoir fâchés, devient après souple et flexible, en sorte que c’est alors le temps où nous faisons tout ce que nous voulons. »

C’est, en effet, comme le roi se conduisit avec ses ministres toute sa vie, toujours parfaitement gouverné par eux, même par les plus jeunes et les plus médiocres ; même par les moins accrédités et considérés, et toujours en garde pour ne l’être point, et toujours persuadé qu’il réussissoit pleinement à ne le point être.

Il avoit la même conduite avec Mme de Maintenon, à qui de fois à autres il faisoit des sorties terribles, et dont il s’applaudissoit. Quelquefois elle se mettoit à pleurer devant lui, et elle étoit plusieurs jours sur de véritables épines. Quand elle eut mis Fagon auprès du roi, au lieu de Daquin qu’elle fit chasser, parce qu’il étoit de la main de Mme de Montespan, et pour avoir un homme tout à elle et de beaucoup d’esprit, qu’elle s’étoit attaché dans les voyages aux eaux où il avoit suivi le duc du Maine, et un homme dont elle pût tirer un continuel parti dans cette place intime de