Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/460

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Ils lui conseilloient de ne pas souffrir qu’Albéroni s’en adressât à autre qu’à Sa Sainteté, qui le devoit amuser par la cour de Parme ; lui cacher à jamais ses véritables dispositions, et que si elle ne pouvoit terminer ses différends honorablement avec l’Espagne que par ce chapeau, ce seroit alors bien fait de le jeter à Albéroni. Cet ambitieux voyoit avec un extrême dépit sa faveur s’ombrager par celle d’Aubenton, à qui le roi d’Espagne confioit plusieurs affaires du gouvernement et même des finances, et de la liaison de ce jésuite avec Mejorada. Le roi et la reine s’étoient disputés et querellés. On croit aisément les changements qu’on désire dans un gouvernement sans ordre et sans règle, et dans une cour ténébreuse, pleine de confusion, où la fausseté et la calomnie étoit ce qui approchoit le plus près de Leurs Majestés Catholiques, et où chacun se croyoit tout permis, et se promettoit tout des plus mauvaises voies, en sorte que les bruits les plus inquiétants se trouvoient les plus répandus. Albéroni commençoit à craindre. La reine l’avertit que le roi avoit beaucoup de soupçons contre lui, et qu’elle-même ne vouloit plus se fatiguer du gouvernement. Quelques représentations qu’Albéroni lui sût faire, elle ne les goûtoit point. Il la connoissoit incapable des affaires, susceptible de mauvais conseils, peu touchée de se conserver ceux qui lui donnoient de bons avis, prête à les abandonner et à les oublier à la moindre difficulté qu’elle trouveroit à les soutenir, et facile à se laisser conduire par ceux qui l’environnoient. Il redoutoit surtout deux hommes de rien que la reine avoit connus à Parme, et qu’elle vouloit toujours faire venir en Espagne ; et il ménagea si bien le duc de Parme qu’il fit en sorte que ce prince les empêcha de sortir de ses États. On avoit pénétré à Madrid qu’Aldovrandi avoit emporté un mémoire de la main du roi d’Espagne, et là-dessus on bâtissoit des chimères en faveur des enfants de la reine au préjudice du prince des Asturies. Ce mémoire ne contenoit rien moins. Le roi d’Espagne y demandoit