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me pria de trouver bon qu’il vînt quelquefois m’entretenir ; nous nous séparâmes fort satisfaits l’un de l’autre, dont le régent le fut encore plus.

Law vint quelques autres fois chez moi ; il me montra beaucoup de désir de lier avec moi. Je me tins sur les civilités, parce que la finance ne m’entroit point dans la tête, et que je regardois comme perdues toutes ces conversations. Quelque temps après, le régent, qui me parloit assez souvent de Law avec grand engouement, me dit qu’il avoit à me demander, même à exiger de moi une complaisance ; c’étoit de recevoir règlement une visite de Law par semaine. Je lui représentai la parfaite inutilité de ces entretiens, dans lesquels j’étois incapable de rien apprendre, et plus encore d’éclairer Law sur des matières qu’il possédoit, auxquelles je n’entendois rien. J’eus beau m’en défendre, il le voulut absolument ; il fallut obéir. Law, averti par le régent, vint donc chez moi. Il m’avoua de bonne grâce que c’étoit lui qui avoit demandé cela au régent, n’osant me le demander à moi-même. Force compliments suivirent de part et d’autre ; et nous convînmes qu’il viendroit chez moi tous les mardis matin sur les dix heures, et que ma porte seroit fermée à tout le monde tant qu’il y demeureroit. Cette visite ne fut point mêlée d’affaires. Le mardi matin suivant, il vint au rendez-vous, et y est exactement venu ainsi jusqu’à sa déconfiture. Une heure et demie, très souvent deux heures, étoit le temps ordinaire de nos conversations. Il avoit toujours soin de m’instruire de la faveur que prenoit sa banque en France et dans les pays étrangers, de son produit, de ses vues, de sa conduite, des contradictions qu’il essuyoit des principaux des finances et de la magistrature, de ses raisons, et surtout de son bilan, pour me convaincre qu’il étoit bien plus qu’en état de faire face à tous porteurs de billets, quelques sommes qu’ils eussent à demander.

Je connus bientôt que, si Law avoit désiré ces visites réglées chez moi, ce n’étoit pas qu’il eût compté faire de