Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/436

Cette page n’a pas encore été corrigée

pour bien faire entendre mon avis, et les raisons que j’avois de le prendre. Incontinent après, l’édit en fut enregistré au parlement sans difficulté [1]. Cette compagnie savoit quelquefois complaire de bonne grâce au régent pour se raidir après contre lui avec plus d’efficace.

Quelque temps après, pour le raconter tout de suite, M. le duc d’Orléans voulut que je visse Law, qu’il m’expliquât ses plans, et me le demanda comme une complaisance. Je lui représentai mon ineptie en toute matière de finance ; que Law auroit beau jeu avec moi à me parler un langage ou je ne comprendrois rien ; que ce seroit nous faire perdre fort inutilement notre temps l’un à l’autre. Je m’en excusai tant que je pus. Le régent revint plusieurs fois à la charge, et à la fin l’exigea. Law vint donc chez moi. Quoique avec beaucoup d’étranger dans son maintien, dans ses expressions et dans son accent, il s’exprimoit en fort bons termes, avec beaucoup de clarté et de netteté. Il m’entretint fort au long sur sa banque qui, en effet, étoit une excellente chose en elle-même, mais pour un autre pays que la France, et avec un prince moins facile que le régent. Law n’eut d’autre solution à me donner à ces deux objections que celles que le régent m’avoit données lui-même, qui ne me satisfirent pas. Mais comme l’affaire étoit passée, et qu’il n’étoit plus question que de la bien gouverner, ce fut principalement là-dessus que notre conversation roula. Je lui fis sentir, tant que je pus, l’importance de ne pas montrer assez de facilité pour qu’on en pût abuser avec un régent aussi bon, aussi facile, aussi ouvert, aussi environné. Je masquai le mieux que je pus ce que je voulois lui faire entendre là-dessus ; et j’appuyai surtout sur la nécessité de se tenir en état de faire face sur-le-champ, et partout, à tout porteur de billets de banque qui en demanderoit le payement, d’où dépendoit tout le crédit ou la culbute de la banque. Law en sortant

  1. L’édit pour la création de la banque de Law porte la date du 2 mai 1716.