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Il faiblit, et me chargea enfin de dire aux ducs qu’il n’y avoit jamais pensé, et que le grand prieur n’entreroit point dans le conseil, quoiqu’il l’en eût fort pressé. Il n’ajoutoit pas qu’il avoit dit au grand prieur qu’il l’y feroit entrer, et il craignoit ses reproches, et encore plus notre éclat. Cette courte conversation termina les espérances du grand prieur, dont il ne fut plus question depuis.

La duchesse de Béthune mourut à Paris assez vieille. Elle étoit fille du surintendant Fouquet, et mère du duc de Charost. C’étoit une femme de beaucoup de mérite et de vertu, d’esprit très médiocre, toute sa vie fort retirée, et qui avoit toujours paru fort rarement à la cour. On a vu en son lieu comment le malheur de son père fit la solide fortune de son mari, et comment le quiétisme fit son fils capitaine des gardes du corps. Elle étoit dès sa jeunesse dans cette doctrine, et alloit toutes les semaines, tête à tête avec M. de Noailles, entendre un M. Bertaut à Montmartre, qui étoit le chef du petit troupeau qui s’y assembloit, et qu’il dirigeoit. Elle et le duc de Noailles étoient bien jeunes, et néanmoins ces voyages réglés tête à tête passoient sans scandale. Ces assemblées grossirent, firent du bruit ; la doctrine parut au moins très suspecte ; on les dissipa, et le docteur Bertaut fut vivement tancé. Le Noailles, qui vit l’orage, appuyé de la cour, ne se crut pas destiné au martyre ; il tourna sa dévotion plus humainement, et abandonna pour toujours ce petit troupeau, dont il avoit été une des brebis choisies. Mme de Béthune fut plus fidèle à la doctrine et au docteur, tellement que, bien des années après, cette même doctrine ayant reparu avec plus d’art et de brillant avec Mme Guyon, elle les joignit bientôt l’une à l’autre, et fit de Mme de Béthune la disciple la plus estimée et la plus favorite de Mme Guyon, et de là l’amie intime de l’archevêque de Cambrai, et de MM. et de Mmes de Chevreuse et de Beauvilliers, et des duchesses de Guiche et de Mortemart. Nulle tempête ne les sépara de leur prophétesse ni de leur patriarche, et c’est ce