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plus courtement encore ; et quand il fut question de passer, dont je m’étois mis à portée, j’entrai. Je remarquai qu’il mit quelqu’un entre lui et moi pour entrer après. Il n’osa rien dire, et je n’en ouïs plus parler. Mais quelque temps après, je sus qu’il faisoit tous ses efforts pour entrer au conseil de régence et y précéder les ducs. J’en fis honte au régent, et lui demandai quel talent, hors l’escroquerie, et pis, la poltronnerie et la plus infâme débauche, il trouvoit dans le grand prieur pour l’admettre dans le gouvernement, et quelle réputation lui-même espéroit d’un tel choix.

La négative peu assurée et l’embarras du régent me déclarèrent tout ce qu’il y avoit à craindre de sa faiblesse et de sa vénération pour le grand prieur. Je parlai aux maréchaux de Villeroy et d’Harcourt, qui étoient du conseil de régence ; au maréchal de Villars, qui y venoit quand il s’agissoit des affaires de la guerre ; à d’autres encore ; puis, de concert avec eux, je déclarai au régent que, s’il faisoit à l’État, au conseil de régence, à lui-même, l’ignominie d’y faire entrer le grand prieur, et aux ducs l’injustice de le leur faire précéder, il pourroit le même jour disposer des places qu’il nous avoit données en ce conseil et dans tous les autres, et compter que, sans ménagement aucun, nous nous expliquerions sur un si bon choix, et sur l’insulte que de gaieté de cœur nous recevrions de sa main, que nous éprouvions déjà si équitable et si bienfaisante à l’égard du parlement, dont apparemment la séance au conseil lui sembleroit plus utile que le travail, l’avis et l’attachement de ses serviteurs. J’ajoutai que toutes ces mêmes paroles dont je me servois m’étoient prescrites, et tous les lui disoient exactement par ma bouche. L’étonnement du régent et son embarras le tinrent quelque temps en silence. J’y demeurai aussi. Il essaya de tergiverser. Je lui dis que cela étoit inutile ; que notre parti étoit bien pris et sans retour ; qu’il étoit maître de faire ce qu’il lui plairoit là-dessus ; mais qu’il ne l’étoit pas d’empêcher notre retraite, nos discours et l’éclat qu’il causeroit.