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que j’étois ennemi du duc de Noailles sans mesure, sans ménagement, sans pouvoir être adouci par tout ce qu’il ne se laissoit point d’employer pour cela ; que je m’en piquois même ; que je lui rompois en visière à tous moments en plein conseil de régence, et partout où je le pouvois rencontrer ; et que tandis que je ne me cachois pas du désir que j’avois de le perdre, j’en négligeois le moyen sûr que j’en avois en main ; et que j’étois l’ami et le soutien du cardinal de Noailles. Je demandai à La Force quel étoit donc ce moyen sûr de perdre le duc de Noailles, et je l’assurai qu’il me feroit grand plaisir de me l’apprendre. « Perdre, me répondit-il, son oncle ; et il ne tient qu’à vous en vous tournant au parti contraire. L’oncle perdu, le neveu tombe nécessairement avec lui, et vous êtes vengé. » L’horreur me fit monter la rougeur au visage. « Monsieur, lui répondis-je vivement, est-ce ainsi que se traitent des affaires de religion ? Persuadez-vous bien une fois pour toutes, et le dites nettement à vos amis, que, quelque certain que je pusse être de la chute totale et sans retour du duc de Noailles en arrachant seulement un cheveu de la tête de son oncle, il seroit de ma part en pleine sûreté. Non, monsieur, encore une fois, ajoutai-je avec indignation, j’avoue qu’il n’est rien d’honnête à quoi je ne me portasse pour écraser le duc de Noailles ; mais de le tuer à travers le corps du cardinal de Noailles, il vivra et régnera plutôt deux mille ans. » Le duc de La Force me parut confondu, et depuis cette réponse, ils n’ont plus songé à me gagner. Je n’en voulus rien dire au cardinal de Noailles, ni à personne qui pût le lui rapporter.

Il est vrai que ma conduite avec le duc de Noailles alloit peut-être jusqu’à abuser des involontaires remords d’un aussi grand coupable à mon égard. Nous ne nous rencontrions qu’en nos assemblées sur nos affaires du parlement, que ses trahisons, et la jalousie ou la sottise de quelques autres, finirent bientôt, et dont, avant leur fin, mes propos directs et publics le bannirent, sans qu’il osât jamais me