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au transport du commerce de toutes les autres et singulièrement de celui d’Espagne, et du nôtre par notre union avec elle. Enfin que, quelque intimité que, par impossible, on pût supposer entre la France et l’Angleterre, on ne pouvoit jamais espérer, pour l’utilité et la grandeur de la première, rien d’approchant de celle qu’il étoit visible qui résulteroit de celle de deux rois si proches, et de même maison, et de deux si puissantes monarchies si parfaitement limitrophes, qui n’ont aucuns intérêts opposés, et de même religion.

Le régent, qui m’avoit écouté avec grande attention, n’eut rien à opposer à la force naturelle de ces raisons. Il convint des principes et des faits. Il m’assura aussi que son dessein étoit de se lier tant qu’il pourroit avec l’Espagne, mais que ce n’étoit pas une résolution à laisser pénétrer trop avant à l’Espagne même, gouvernée par une reine ambitieuse, et par un ministre très dangereux, qui tournoient le roi d’Espagne tout comme ils vouloient, et très capables d’abuser de cette connoissance ; encore moins la trop montrer à l’Angleterre et aux autres puissances, qui s’en refroidiroient pour nous, redoubleroit leur jalousie et leurs efforts pour nous diviser d’avec l’Espagne, et leur persuaderoit de ne nous jamais considérer que comme ennemis ; que ce ménagement étoit d’autant plus nécessaire que je n’ignorois pas que la grande maxime de la cour de Vienne, surtout depuis la paix de Ryswick, étoit une liaison indissoluble avec les puissances maritimes, laquelle avoit été pareillement fondée entre l’Angleterre et la Hollande par le roi Guillaume, que la jalousie du commerce n’avoit pu altérer depuis, et qui trouvoient leur compte dans l’alliance de l’empereur pour nous l’opposer, lequel étoit le maître de l’empire, et de le faire armer sans autre cause que sa volonté et son intérêt particulier.

Je convins avec le régent de la solidité de la précaution qu’il se proposoit, pourvu que ce ne fût que précaution, et