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excité toutes les puissances ; enfin par son invasion d’Angleterre, par la protection que le feu roi avoit prise de Jacques II et de sa famille ; en dernier lieu par sa reconnoissance de Jacques III, nonobstant le traité solennel de Ryswick, et les conjonctures où il l’avoit faite, dont le roi Guillaume avoit bien su se servir dans toute l’Europe, et tout mourant qu’il étoit, l’unir contre la France, et porter à cette occasion la haine des Anglois jusqu’à la rage. Que si une intrigue de femme et de la cour de la reine Anne avoit sauvé la France des derniers malheurs par sa séparation d’avec ses alliés, et les traités de paix qui en furent la suite, et elle l’instrument, il falloit bien distinguer une cabale de cour qui y trouva son intérêt pour s’élever sur la ruine de ses ennemis qui auparavant avoient tout pouvoir en Angleterre, d’avec la nation, et même la totalité de la cour.

D’ailleurs la médaille avoit tourné par la mort d’Anne et l’arrivée de son successeur en Angleterre, qui avoit chassé tous ceux à qui nous devions la paix, remis en place ceux qu’Anne en avoit ôtés, et abandonné nos amis à la fureur des whigs, et aux procédures d’un parlement furieux de cette paix, que la cour excitoit encore contre eux. De cet exposé je conclus qu’il étoit insensé de se proposer de lier avec l’Angleterre une amitié véritable qui ne seroit jamais que frauduleuse et traîtresse, jamais offerte ou acceptée que dans l’unique vue de diviser la France d’avec l’Espagne, et d’en profiter ; que de se rabattre à l’espérance de nouer au moins cette amitié de roi à roi, c’étoit encore un leurre fort grossier, qui ne pouvoit tirer nulle force de celle qui avoit été entre le feu roi et Charles II ; qu’outre que Charles II étoit son cousin germain, qu’il avoit la reine sa mère établie en France depuis les premiers [malheurs] de Charles Ier, et Madame, sa sœur, épouse de Monsieur, qui avoit la confiance et l’amitié personnelle des deux rois, dont elle avoit été le lien tant qu’elle avoit vécu, et dont la mémoire leur étoit toujours demeurée chère, on n’avoit pas laissé d’avoir grand besoin