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France et dans le reste de l’Europe, ni avec plus de suites et de conséquences, que de tenir avec l’Espagne la conduite que je proposois, ou une différente. J’appuyai sur ce qu’à Rome, qui dans ces temps-là étoit encore le centre des affaires, et dans toutes les autres cours, les intérêts des deux branches d’Autriche avoient sans cesse été les mêmes, et jusque dans l’intérieur domestique des affaires de l’empire ; que nulle puissance ne pouvoit toucher à l’une, que l’autre n’intervint incontinent comme commune en tout et partout, ainsi qu’il avoit paru en toutes les guerres et en tous les traités particuliers et généraux, jusque-là que le reste de l’Europe s’étoit depuis longtemps dépris de songer à les désunir, et n’avoit plus pensé qu’à se soutenir contre elles. Que c’étoit la le modèle que nous avions à suivre si nous voulions prospérer dedans et dehors, et nous élever jusqu’au point de devenir les dictateurs de l’Europe, comme il étoit arrivé à la maison d’Autriche, même après avoir tacitement renoncé à la monarchie universelle, où elle avoit enfin senti qu’elle ne pouvoit atteindre.

Je suppliai ensuite le régent de se souvenir que les véritables ennemis de la France étoient la maison d’Autriche et les Anglois. Que la connoissance qu’il avoit de l’histoire ne lui présentoit autre chose, dans toute sa suite, que cette haine et cette jalousie d’une couronne qui seule pouvoit arrêter leur ambition ; que cette passion avoit pris un nouvel accroissement par la compétence [1] de Charles-Quint et de François Ier, et par les vains efforts de Philippe II, du temps de la Ligue ; et depuis, à l’égard de l’Angleterre, par la haine irréconciliable du feu roi pour le prince d’Orange et par le dépit de ce dernier de n’avoir pu l’amortir par vingt ans de soumissions, lequel s’étoit tourné en rage, de laquelle on avoit senti les effets par toute l’Europe, dont il avoit

  1. Compétence est pris ici dans le sens de concurrence. Il s’agit de la rivalité de François Ier et de Charles-Quint pour la dignité impériale.