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trois, parlant d’eux à quiconque, ne les appeloient jamais autrement. Cela avoit donné le ton, et tout le monde sans exception ne parloit plus d’eux : que par ce terme. Ils craignirent que ce prince ne s’accoutumât à vivre avec d’honnêtes gens, et qu’à son retour ils ne fussent plus admis et seuls à l’ordinaire. Les maîtresses n’eurent pas moins de frayeur, et ce bon groupe fit tant sur un prince facile, que le voyage, dès la première mention, fut absolument rompu. Prenant congé de lui pour m’en aller chez moi, je le conjurai de se contenir au moins pendant les quatre jours saints, c’est-à-dire le jeudi, vendredi, samedi et dimanche, et sur toutes choses de ne pas commettre un sacrilège gratuit où il perdroit du côté du monde qu’il croiroit captiver par là, infiniment plus qu’en s’en abstenant, parce que sa vie, la même devant et après, le décèleroit tout aussitôt, et très publiquement.

Je m’en allai là-dessus à la Ferté, espérant du moins avoir paré ce comble. J’eus la douleur d’y apprendre qu’après avoir passé les derniers jours de la semaine sainte moins même qu’équivoquement, quoique avec plus de cacherie, il avoit été à la plupart des fonctions de ces jours saints, suivant l’étiquette de feu Monsieur, qui les passoit presque toujours à Paris ; qu’il étoit allé le jour de Pâques à la grand’messe à Saint-Eustache, sa paroisse, et qu’en grande pompe il y avoit fait ses pâques. Hélas ! ce fut la dernière communion de ce malheureux prince, et qui, du côté du monde, lui réussit comme je l’avois prévu. Sortons d’une si triste matière pour entrer en celle de ce qui se passoit au dehors.

Avant d’entrer dans la narration de ce qui regarde les affaires étrangères des premiers mois de cette année, il faut, pour éviter une digression, expliquer une affaire que la cour de Turin eut avec celle de Rome, qui, pour le dire en passant, fait voir jusqu’à quel excès de tyrannie et d’oppression les ecclésiastiques tiennent les laïques qui sont assez simples pour souffrir leurs prétentions se tourner en droit