Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/354

Cette page n’a pas encore été corrigée

jouer sur le théâtre de l’Opéra pour Madame, cette petite loge servit pour les deux spectacles.

Allant un jour à l’Opéra, ses gardes firent arrêter le carrosse de M. le prince de Conti qui y arrivoit, et maltraitèrent son cocher, ce prince étant dans son carrosse. La vérité est que ce n’étoit qu’entreprises de toutes parts. Les princes du sang n’osaient pas nier tout à fait leur devoir d’arrêter devant les filles de France, car il n’y avoit point de fils de France alors, mais ils les évitoient et de fait ne vouloient point arrêter devant elles ; d’autre part, c’étoit bien assez de le faire arrêter de haute lutte, sans maltraiter son cocher, lui dans son carrosse ; Il s’en plaignit au marquis de La Rochefoucauld, capitaine des garde de Mme la duchesse de Berry, qui n’eut pas l’esprit de lui répondre de manière à le contenter, et à faire tomber la chose ; M. le prince de Conti, piqué, s’adressa à M. le duc d’Orléans, qui obligea Mme la duchesse de Berry de le prier de venir chez elle. Il y vint ; la conversation se passa en public fort mal à propos, et pour en dire le vrai, avec tout son esprit, elle s’en tira fort mal ; elle fit des reproches à ce prince de ne s’être pas adressé à elle ; elle voulut accuser le cocher et excuser son garde, puis voyant qu’elle ne réussissoit pas, et que M. le duc d’Orléans vouloit être obéi, elle dit à M. le prince de Conti que, puisqu’il vouloit que ce garde allât en prison, il y irait, mais qu’elle le prioit qu’il n’y fût guère. Cela fut pitoyable. En effet, à peine le garde se fut-il remis qu’il sortit à la prière de M. le prince de Conti. Le point étoit qu’on l’avoit fait arrêter, qu’il n’osoit le contester ni s’en plaindre. Voilà pour le rang à couvert et bien décidé ; le reste étoit une sottise dont il falloit savoir sortir galamment.

Après maintes passades, elle s’étoit tout de bon éprise de Rion, jeune cadet de la maison d’Aydie, fils d’une sœur de Mme de Biron, qui n’avoit ni figure ni esprit. C’étoit un gros garçon court, joufflu, pâle, qui avec force bourgeons ne ressembloit