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chez moi, attendant que je rentrasse, sans vouloir entrer lui-même avant moi, et en plein hiver souvent, ni jamais souffrir que son carrosse fût ailleurs que dans la rue. J’avois effectivement trouvé qu’il étoit traité trop durement, après avoir eu tant de privance. Je l’avois représenté à M. le duc d’Orléans, l’exhortant néanmoins à le tenir éloigné de toute affaire, mais à le traiter d’ailleurs avec plus de bonté. J’avois réussi sur ce dernier article depuis quelque temps ; plût à Dieu que sur l’autre j’eusse été cru de même !

L’abbé Dubois voulut être conseiller d’État, et me vint prier d’en rompre la glace auprès du régent. Il s’appuyoit sur ce que les évêques ne voudroient plus d’une place dans laquelle l’abbé Bignon les précéderoit ; et, en effet, c’est ce qui les en a exclus, au déshonneur du conseil. Ma franchise ne put se taire. Je répondis à l’abbé Dubois que je lui souhaitois toute sorte de bien, mais que pour cette place je le priois de regarder un peu derrière lui, et de voir si elle lui convenoit, le dépit qu’en auroient les conseillers d’État, et si son attachement pour M. le duc d’Orléans lui pouvoit permettre de lui attirer par là la haine de tout le conseil et de tous les prétendants, et tous les discours du monde, tous ceux qui se tiendroient sur lui-même, et les mauvais offices qui sûrement naîtroient de ce choix. Il fut un peu étonné, mais il n’eut point de bonne réplique ; nous ne laissâmes pas de nous séparer fort bien. Quatre jours après, l’abbé Dubois revint chez moi, qui d’abordée : « Je viens, me dit-il, vous rendre compte que je suis conseiller d’État, » transporté de joie. « Mon cher abbé, lui répondis-je, j’en suis ravi, et d’autant que je n’y ai point de part ; vous êtes content, et moi aussi. Prenez seulement garde aux suites, et puisque l’affaire est faite, tenez-vous gaillard, et veillez-y seulement sans les craindre. » Je l’embrassai, et il s’en alla fort satisfoit de moi. Je n’en dis pas un mot au régent ni lui à moi. Ma coutume étoit de ne lui jamais parler des choses faites que je désapprouvois ; la sienne, de ne me rien dire de