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cette dernière occasion, il s’emporta jusqu’à lui vouloir faire donner des coups de bâton, que j’eus toutes les peines du monde à empêcher. La Feuillade avec sa fausseté, son masque de philosophie, son épicurienne morale, sa bassesse jusqu’à l’indignité pour la faveur, son ambition démesurée, qui se permettoit tout, et sa hauteur insupportable dans la fortune, n’avoit pas deviné que M. le duc d’Orléans deviendroit le maître. Il se désoloit donc de n’être délivré par la mort du roi d’une disgrâce profonde, que rien n’avoit pu diminuer depuis Turin, que pour retomber dans une autre, d’autant plus fâcheuse qu’il se l’étoit creusée lui-même par ses gratuits forfaits. Il se désespéroit de n’y voir point d’issue, quand un coup de baguette changea son sort en un instant.

On a vu que l’infâme débauche et d’autres circonstances l’avoient intimement lié avec Canillac, qui l’aimoit d’autant plus chèrement que son orgueil étoit flatté de la supériorité que La Feuillade lui avoit laissé prendre sur lui, jusqu’à en être regardé et traité comme son oracle. Ce même orgueil de Canillac, joint à l’amitié, lui fit entreprendre d’abuser de celle de M. le duc d’Orléans jusqu’à le trahir, et de rendre la vie à l’ambition de La Feuillade. Canillac ne connoissoit que trop à fond le prince à qui il avoit affaire. Il fit l’effort de se taire sur ce projet qui ne pouvoit réussir que par le secret. Il piqua le régent de peur, d’intérêt et d honneur, l’un aussi mal à propos que l’autre, étala son bien-dire d’un ton d’autorité, et fit si heureusement son personnage que le régent, qui ne s’étoit montré inexorable sur le comte de Roucy que parce que ce n’étoit pas un homme, reçut presque comme un service l’occasion qui lui fut présentée par Canillac de regagner La Feuillade, duquel, par l’étoffe qu’il y connoissoit, on lui fit aisément accroire qu’il y avoit à craindre et à espérer.

L’occasion du marché du gouvernement de Dauphiné, que Canillac persuada à M. le duc d’Orléans, qui ne songeoit à