Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/309

Cette page n’a pas encore été corrigée

et on fit une machine d’une admirable invention, et d’une exécution facile et momentanée pour couvrir l’orchestre et mettre le théâtre et le parterre au même plain-pied et en parfoit niveau. Le malheur fut que c’étoit au Palais-Royal, et que M. le duc d’Orléans n’avoit qu’un pas à faire pour y aller au sortir de ses soupers, et pour s’y montrer souvent en un état bien peu convenable. Le duc de Noailles, qui cherchoit à lui faire sa cour, y alla, dès la première, si ivre qu’il n’y eut point d’indécence qu’il n’y commît.

M. le duc d’Orléans étoit fort importuné de Vincennes : il vouloit avoir le roi à Paris. J’avois fait ce que j’avois pu pour qu’on retournât à Versailles. On n’étoit là qu’avec la cour, loin de toute cette sorte de monde qui ne découche point de Paris que pour aller à la campagne. Tout ce qui avoit des affaires y trouvoient en une heure de temps tous les gens qu’ils avoient à voir, au lieu qu’à Paris il falloit aller dix fois chez les mêmes et courir tous les quartiers. Ceux qui étoient chargés des affaires n’auroient point eu à Versailles les dissipations et les pertes de temps qui se trouvoient à Paris ; et ce que je considérois davantage, c’est que loin du tumulte du parlement, des halles, du vulgaire, on n’y étoit point exposé, comme à Paris, à des aventures de minorité, telles que [celles que] Louis XIV y avoit essuyées, et qui l’en firent sortir furtivement une nuit de la veille des Rois. J’étois touché aussi d’éloigner M. le duc d’Orléans des pernicieuses compagnies avec qui il soupoit tous les soirs, de l’état auquel il se montroit souvent aux bals de l’Opéra, et du temps qu’il perdoit à presque toutes les représentations de ces spectacles. Mais c’étoit précisément ce qui l’attachoit au séjour de Paris, duquel il n’y eut pas moyen de le tirer. Il fit même faire une grande consultation de médecins pour ramener le roi à Paris ; mais ceux de la cour et de la ville se trouvèrent du même avis, qu’on n’y devoit mener le roi qu’après que les premières gelées auroient purifié l’air, et