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mort ; je ne vous ai point trompé, je vous tiens parole, mais je fais plus que je ne vous avois promis, car votre famille est sauvée, votre petit-fils en place, et sa place bien mise à couvert d’être emblée. Quelle plus grande consolation pour vous ! et quelle plus grande marque possible de la plus grande considération pour vous et de la plus distinguée ! — Eh ! je le sens, me répondit-il, et que je le dois à votre amitié ; » et se jeta à mon cou, puis ajouta : « Mais je suis père, et quoique je connoisse bien mon fils, il me perce le cœur d’être perdu. » Il s’attendrissoit, les larmes lui venoient aux yeux, puis se remettoit dans la vue de son petit-fils.

Quand il fut un peu calmé, je lui fis remarquer que c’étoit le salut de sa famille, parce qu’il étoit impossible que son fils subsistât encore longtemps, et qu’étant chassé, personne n’auroit imaginé de faire passer sa charge à un homme de l’âge de son fils, et aussi peu au fils de celui qu’on chassoit. Il en convint, m’embrassa encore tendrement, puis nous parlâmes tous trois assez confusément pour battre, pour ainsi dire, la campagne.

De temps en temps le chancelier revenoit à son fait, à son fils, et me dit : « Vous avez fait la lettre, j’ai senti votre style et toutes vos précautions. Vous n’avez pas voulu que je pusse approcher de M. le duc d’Orléans, par la défense qui en est dans la lettre, ni que je lui fisse parler, et vous étranglez mon fils par le peu de temps qu’elle prescrit pour l’exécution de l’ordre. Oh ! que je vous reconnois bien à tout cela, et toutes les honnêtetés pour moi dont la lettre est pleine ! — Eh bien ! monsieur, lui répondis-je, quand cela seroit, ai-je eu tort ? Vous m’y aviez attrapé l’autre fois, en allant trouver M. le duc d’Orléans ; je n’ai pas voulu manquer mon coup une seconde. Croyez-moi, vous vous consolerez comme père ; et comme grand-père, et père de famille, vous vous réjouirez après, et vous me saurez gré. — Hé ! si je vous en saurai, reprit-il vivement, je vous en sais déjà,