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signa, la cacheta, y mit lui-même le dessus, et me la remit pour la rendre.

Il manda aussitôt La Vrillière et l’abbé de Thesut, à qui sous le secret il donna ses ordres, en sorte que nous n’eûmes plus qu’à les exécuter.

Le lendemain matin sur les huit heures et demie j’envoyai la lettre de M. le duc d’Orléans, enfermée dans une enveloppe cachetée où je mis le dessus, au chancelier de Pontchartrain, et lui mandai que je seroit incontinent après chez lui. Je ne voulus pas être le porteur moi-même, et je laissai une demi-heure d’intervalle exprès.

Comme j’allois chez lui, je rencontrai La Vrillière à la porte Saint-Michel qui en revenoit. Nous arrêtâmes, il monta dans mon carrosse où je lui demandai ce qu’il pensoit faire de s’en revenir ainsi. Il me conta la surprise et la douleur du père qui convenoit bien que son fils méritoit sa disgrâce, et que la grâce faite à son petit-fils étoit infinie, mais qu’il étoit père, et qu’il voyoit son fils perdu ; qu’il s’écrioit que je lui avois bien dit que je perdrois son fils, et néanmoins sans aigreur ; et que lui La Vrillière, peiné de ces lamentations, voyant que je n’arrivois point, avoit pris le parti de revenir. « Fort mal à propos, lui dis-je, et vous reviendrez tout à cette heure avec moi. C’est un pauvre homme peiné sur son fils qui bientôt sentira la joie de sa considération personnelle, et de la conservation de sa charge dans sa famille, qui autrement tôt ou tard en seroit sortie, et qu’il ne faut point que vous perdiez de vue que la démission ne soit signée et emportée par l’abbé de Thesut. »

Nous arrivâmes chez le chancelier, qui se promenoit seul dans son cabinet. Dès qu’il m’aperçut : « Ah ! voilà de vos coups, s’écria-t-il, je reconnois votre main ; vous chassez mon fils, et vous sauvez son fils pour l’amour de moi et de sa mère ; vous m’aviez bien promis que vous perdriez mon fils. — Monsieur, lui dis-je, il est vrai que je vous l’avois dit dès le temps du feu roi, et longtemps avant sa