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cent façons méritoit d’être chassé. À la fin cette longue tolérance me devint insupportable, et je me résolus à faire un effort pour la faire finir.

J’allai le dimanche 3 novembre chez M. le duc d’Orléans à Vincennes, avant le conseil de régence qui se tenoit le matin, et je lui demandai s’il ne se laissoit point d’y voir Pontchartrain ne pouvant dire mot, écoutant tout, à qui personne ne parloit, et mouchant le soir les bougies ; s’il ne feroit point cesser ce ridicule pour le conseil même ; combien encore il avoit résolu de nous laisser dégoûter et salir par cette araignée venimeuse que chacun souhaitoit dehors, et qu’il étoit par trop indécent d’y laisser après les affronts fondés et réitérés qu’il y avoit reçus sur sa gestion de la marine, par les mémoires détaillés et prouvés que le maréchal d’Estrées, et après lui le comte de Toulouse, avoient lus et commentés en plein conseil devant nous tous, en sa présence et en celle de Pontchartrain, qui depuis deux mois n’avoit pu trouver rien à y opposer. J’ajoutai l’indignation publique contre cet ex-bacha, la surprise générale qu’il fût souffert si longtemps, et l’applaudissement universel que recevroit sa chute. Le régent convint de tout, mais il m’opposa le père, et me dit qu’il n’avoit pas le courage de lui donner un si grand déplaisir.

Je lui répondis que, s’il vouloit, je lui fournirois un moyen de chasser le fils, et que le père encore lui seroit très sensiblement obligé. Le régent fort surpris me demanda comment je ferois cela. Alors je lui proposai d’ordonner à Pontchartrain de donner la démission pure et simple, et à l’instant, de sa charge de secrétaire d’État, de la donner sur-le-champ à Maurepas son fils aîné, qui, n’ayant guère que quinze ans, ne se trouvoit pas à portée d’exercer le peu qui en restoit ; d’en charger La Vrillière à qui cela n’ajouteroit pas une demi-heure de travail par semaine, et de faire valoir au père la singularité de ce présent, et l’attention de le mettre en dépôt, en attendant l’âge du jeune homme,