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Je dis sur la fin, toujours regardant mon homme très fixement, qu’il ne falloit pas douter que M. le duc d’Orléans, et peut-être le parlement aussi, ne fussent promptement avertis, et de la première main, de tout ce qui venoit d’être débattu et résolu entre nous ; mais qu’ayant pour nous la vérité, l’équité, et l’engagement du régent le plus public et le plus solennel, il n’y avoit qu’à laisser rapporter nos traîtres, suivre vivement ce qui étoit résolu, surtout maintenir l’union entre nous, et la regarder comme notre salut unique, mais certain. Tous les regards tombèrent encore, à cette reprise, sur le duc de Noailles, qui se leva brusquement, dit un mot bas à Charost son voisin, et sortit tout de suite comme un homme enragé. Cette manière de s’en aller n’échappa à personne. Je la commentai, et j’expliquai plus au long les preuves de la trahison du duc de Noailles, dont on ne douta plus. On convint de ne lui plus rien communiquer, mais qu’il n’étoit pas possible de lui fermer la porte de nos assemblées. Nous n’eûmes guère lieu d’en être embarrassés, car il ne s’y présenta presque plus, c’est-à-dire de loin en loin, une fois ou deux encore, et pour peu de moments, cachant sa turpitude sous son importance, et le travail des finances qui ne lui donnoit aucun loisir.

Charost, au sortir de cette assemblée chez M. de Laon, dont je viens de parler, me prit à part, et me voulut haranguer sur la façon dont j’avois tancé le duc de Noailles. Je me moquai de lui, et lui demandai quel ménagement méritoit un traître, et d’ailleurs de Noailles à moi, le plus noir et le plus perfide calomniateur, et à qui nous devions la frénésie de toute cette prétendue noblesse. Charost répliqua que cela étoit bel et bon, mais qu’il falloit donc que je susse que Noailles lui avoit parlé de moi avec menaces, comme mi homme qui vouloit tirer raison de moi si je recommençois à l’attaquer. Je me mis à rire, et lui dis qu’il y avoit longtemps que je lui en fournissois matière et occasion, s’il étoit si mauvais garçon, et qu’il me sembloit que la scène qu’il