Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/221

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’avis à Besons, qui barbouilla, et qui proposa une cote mal taillée. Estrées saisit cet expédient, parla longtemps sans rien dire, et ne put conclure.

Ce début me parut si misérable pour des juges de cette suprême sorte, et en tout pour des juges, que je pris la parole. Je dis au maréchal d’Estrées que nous étions tous là pour dire, non ce qui seroit à souhaiter, et faire des raisonnements étrangers à la question, mais pour dire nos avis nettement, en conscience ; qu’il avoit parlé, mais point opiné ni conclu ; qu’il s’agissoit de savoir s’il étoit pour M. le Grand ou M. le Premier, en tout ou en partie, et au dernier cas en quelles parties. Le maréchal fut étourdi. Il barbouilla encore je ne sais quoi d’indécis ; je me tournai au régent à qui je dis : « Monsieur, il faudroit opiner, et cela ce n’est pas avoir un avis. » Alors le régent dit au maréchal d’Estrées : « Monsieur le maréchal, opinez donc, s’il vous plaît, et que nous sachions votre avis, car nous n’en savons rien encore. » Tout le conseil baissa les yeux, et je ne vis jamais gens si consternés. Le maréchal d’Estrées, dans un embarras extrême, se mit à reprendre les points de prétention sans pouvoir se résoudre à décider. Le régent le pressa encore ; il décida enfin partie pour l’un, partie pour l’autre, sans en apporter aucune raison.

Le régent, qui vit qu’il n’en tireroit pas davantage, dit à d’Antin d’opiner. L’aventure du maréchal d’Estrées lui fut une leçon. Il fit une préface de compliments pour les deux parties, et sur le malheur de ce procès ; il bégaya plus qu’à l’ordinaire, mais il fut pour M. le Premier sur tous les chefs. Harcourt, qui parla après, et qui déjà s’énonçoit avec difficulté, fut court et de même avis. Villars pouffa, verbiagea, complimenta les parties, se plaignit du procès, désira des cotes mal taillées, mais conclut pour M. le Premier. Noailles parut comme chat sur braise. Il craignit quelque chose de plus fort que ce que j’avois dit à son beau-frère, car je ne le ménageois pas en plein conseil. Il eût bien voulu aussi ne