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parurent. Les chefs et les présidents des conseils y étoient mandés. Le maréchal de Villeroy parloit à chacun pour M. le Grand son beau-frère ; le maréchal d’Huxelles pour M. le Premier, son cousin germain et son ami intime ; et tous deux sortirent quand on se mit à prendre place. Comme Torcy, rapporteur, ouvrit son sac, je tirai de ma poche ce compte de mon père et le billet de M. le duc d’Orléans, et je dis : « Messieurs, voilà un compte de l’année 1643, rendu à mon père par son intendant, et voici un billet de la main de M. le duc d’Orléans, que je reçus hier, par lequel il m’ordonne d’apporter aujourd’hui ce compte au conseil. » Et en même temps je mis l’un et l’autre sur la table, au milieu de sa largeur devant moi. Tous regardèrent sans y toucher, personne ne répondit ; jamais je ne vis des visages si embarrassés. Après, Torcy commença son rapport.

Il le fit nettement, correctement, exactement, n’oublia rien de part et d’autre, compara les raisons, les commenta, et conclut en tout et partout en faveur de M. le Premier. Ses termes furent bons et justes, mais la voix basse, souvent coupée, et faiblit sensiblement aux conclusions.

Nous étions treize juges ainsi opinants : Torcy, rapporteur, les maréchaux de Besons et d’Estrées, le duc d’Antin, les maréchaux d’Harcourt et de Villars, le duc de Noailles, moi, Voysin chancelier, le comte de Toulouse et le duc du Maine, M. le Duc, M. le duc d’Orléans. Ainsi j’étois à l’ordinaire vis-à-vis du chancelier, auprès du comte de Toulouse, et le maréchal de Villars auprès de moi ce jour-là.

Le rapport fait, M. le duc d’Orléans ordonna à Torcy de lire l’endroit du compte de mon père où celui de la dépouille de la petite écurie lui devoit être rendu, en cas qu’il l’eût eue. Je poussai le compte à Torcy, je repris le billet de M. le duc d’Orléans, je le montrai bien à mes deux voisins, et je le remis devant moi sur la table. Torcy trouva l’endroit du compte dont il s’agissoit, et le lut. Le régent ensuite demanda